Violaine de Villers, connue pour de nombreux documentaires faisant voyager du Rwanda à la Chine jusqu’à l’Eglise Saint-Loup de Namur, suit dans Je comme un Jeu l’artiste Benedicte Davin pour explorer les linéaments de ses performances. Il en ressort un documentaire étonnant et désarçonnant, plongeant dans les profondeurs du corps et du langage.
Je comme un jeu de Violaine de Villers

Violaine de Villers, à la filmographie d’une richesse et d’un éclectisme manifeste, suit dans Je comme un Jeu l’artiste Benedicte Davin. Ce n’est pas la première fois que cette dernière apparaît dans un film de la réalisatrice. On pouvait déjà l’apercevoir dans la Langue rouge, un autre documentaire dépeignant un artiste, cette fois consacré à Walter Swennen. Dans ce documentaire de qualité, Benedicte Davin s’y livrait à des vocalises dadaïstes qui ponctuaient la bande-son et durant quelques brefs instants était mise en scène en pleine performance. Violaine de Villers tend en effet à privilégier les artistes dont elle se sent proche. Quand désormais Benedicte Davin devient le cœur de Je comme un jeu, il est dès lors très clair qu’à l’instar de La Langue rouge, le ton du documentaire privilégiera la connivence et la complicité à la distance et à l’objectivité.
Cependant, si on retrouve la complicité susmentionnée ainsi que certaines thématiques communes comme celle du rapport au langage, le dispositif est ici plus modeste et les mises en scène qui caractérisaient La Langue rouge plus en retrait pour se centrer sur une plus grande intimité. En retrait du monde, loin des aspects mondains que l’on pouvait apercevoir dans l’autre documentaire, on se recentre ici sur son vécu tout en l’assortissant de nombreuses performances pour beaucoup effectuées à domicile. Ce recentrement sur des lieux restreints entre en parfaite concordance avec le fil conducteur du documentaire. Il met rapidement en avant l’impulsion à l’origine de l’activité artistique de Bénédicte Davin, impulsion d’autant plus importante qu’elle est sans cesse remise en jeu à chaque performance. L’intime est au cœur de la démarche.
Benedicte Davin a en effet vécu un traumatisme important lors de son enfance, mettant sérieusement à mal le rapport qu’elle entretenait avec son propre corps. Il devint semblable à un miroir brisé dans lequel elle ne pouvait se reconnaître et qu’il allait falloir sans cesse ressaisir pour trouver la continuité perdue avec elle-même. Il ne pouvait dès lors plus être considéré comme un tout avec lequel se confondre. Son activité artistique a par conséquent pour ambition de retrouver cette évidence perdue à travers des performances vocales et corporelles puisant dans les aspects les plus primitifs du langage et du corps. Elle revint au fond originaire à partir desquelles se constituent l’ensemble des attitudes et expressions quotidiennes afin de s’édifier à neuf sur des bases retrouvées. Pour parvenir à ses fins, ne pouvant accomplir sa pratique artistique en partant d’un accord harmonieux avec son corps, elle s’exerce à l’employer comme un outil. Le Je, dans ces circonstances, est un jeu… et de plus un jeu qui s’inspire des prédécesseurs les plus connus pour déconstruire le langage en ses plus infimes parties et mettre ainsi en évidence la particule la plus élémentaire. Ces artistes sont par exemple dadaïstes, merziens ou futuristes.
Violaine de Villers recherche par conséquent à explorer ces différents entremêlements en suivant Benedicte Davin dans ses pratiques artistiques et, avec un tact le plus grand possible, en abordant des questions difficiles de son passé. Il en résulte un documentaire qui fait la part belle aux performances, entrecoupées de discussions filmées de la façon la plus traditionnelle… et en même temps désarçonnant puisque Benedicte Davin se livre à des vocalises qui vont bien au-delà des conventions sociales jugeant de ce qui oui ou non est une communication appropriée. Ses performances débordent largement les limites du « convenable » pour puiser dans des attitudes et verbalisations sans distinction de l’acceptable et de l’inacceptable, c’est-à-dire dans le fond chaotique du possible. Cependant, c’est peut-être aussi la grande vertu de Je comme un jeu : questionner les barrières que l’on se met consciemment ou non dans nos manières d’êtres et amener à davantage accepter ce qui diffère de nous.