Entres films noirs et comédies romantiques, sa carrière s’est tissée plus en France qu’en Belgique. Dernier rôle en date : celui de Pierre dans Elève libre, le dernier film de Joachim Lafosse actuellement en cours de montage. Interview-conversation avec Jonathan Zaccaï, un comédien rare et drôle.
Jonathan Zaccaï : Elève Libre, le jeu et la réalisation
Cinergie : Te sens-tu apparenté aux comédiens belges ayant construit leur carrière en France ?
Jonathan Zaccaï : Contrairement à la plupart d’entre eux, je n’ai pas été un Belge parti en France puis reconnu en Belgique. C’est vraiment la France qui m’a fait travailler. Je ne pense pas que tout le monde sache que je suis Belge, enfin ceux qui me connaissent. C’est différent de Jérémie Renier, de Marie Gillain ou de Benoît Poelvoorde qui ont commencé en Belgique : tout le monde connaît leur nationalité.
C. : Avant Elève libre, tu étais pourtant apparu, il y a plusieurs années, dans un film belge, Le Tango des Rashevski.
J. Z. : Pour moi, ce n’était pas un vrai film belge. Elève libre revêt plus, je pense, cette caractéristique.
C. : Comment l’expliques-tu ?
J. Z. : C’est comme les films scandinaves : il y a quelque chose d’assez fort et sec. J’associe ça à Joachim. J’ai l’impression que je n’aurais pas pu faire ce film avec un réalisateur en France. Il y a déjà la manière de travailler de Joachim : il a la même équipe depuis toujours. Cela pourrait être très français mais c’est sans compter les ambiances, les relations, le fait qu’on mange tout le temps ensemble. J’ai trouvé ça très belge; j’ai eu l’impression d’être un étranger ! Et puis, ça faisait longtemps que je n’étais pas resté aussi longtemps en Belgique. Je me suis souvenu de mes origines.
C. : Connaissais-tu le travail de Joachim précédemment ?
J.Z. : Certains films, oui. J’avais vu Ça rend heureux avant de découvrir Nue Propriété que j’ai trouvé étonnant et très fort. Je l’ai vu parce que je savais que j’allais travailler avec Joachim.
C. : Le rôle que tu interprètes est celui de Pierre, un individu séduisant qui devient progressivement obscur. Est-ce que dès le départ, tu savais que tu allais jouer avec tes limites ?
J.Z. : J’ai lu le scénario, je m’attendais à un rôle et à une coupe. À partir du moment où j’ai dit oui au costume, j’ai dit oui à l’anti-séduction. J’ai des espèces de chemises avec un t-shirt en dessous collé au corps; j’appelle ça des costumes de la RDA ! Après, la difficulté à faire ce film, c’est autre chose. Moi, je sais où sont mes limites. En tant qu’acteur, elles sont très claires et, par bonheur, ne sont pas les mêmes qu’en tant que personne. Avec Joachim, la question des limites va au-delà du rôle. Ceci dit, il y a tout de suite eu une clarté sur les scènes. Déjà au niveau sexualité, en ce qui concerne le rôle, j’estimais que la violence pouvait être dans les actes mais pas dans la vision des corps.
C. : C’est pour ça que le parti pris est le hors champ.
J.Z. : Voilà. Mais le hors champ est terrifiant. D’ailleurs, c’est la première fois où je me suis vraiment dit : « là, tu as surestimé ton humour ». En fait, pour moi, jouer un rôle comme ça, c’est de l’humour. À la base, je voulais faire de la comédie (je veux toujours en faire, d’ailleurs) mais là, je ne sais pas si on captera ce rôle comme étant de l’humour de ma part, parce que, finalement, il est très éloigné de ma personne. Ça m’amuse de m’embarquer dans des esprits et dans des voyages qui me sont assez étrangers mais dans lesquels il y a quand même des choses qui me parlent et qui m’interpellent.
C. : Dans cette histoire de limites et d’apparences, qu’est-ce qui catégorise ton personnage ?
J.Z. : C’est vrai qu’à tous points de vue, je suis très loin de l’univers de Joachim, mais ça m’a amusé de m’y plonger. Ça a été un tournage violent parce que mon rôle est très, très noir. Entre Joachim et moi, on a dû trouver un champ commun pour suivre un trajet pas à pas. Ça n’a jamais été quelque chose de totalement acquis, car c’était tout le temps un vrai travail, à chaque séquence. Sur le fil en somme.
Le personnage est assez calme, assez bonhomme, assez étouffé. Il parle, il théorise beaucoup, il rassure tout le temps, il répond toujours aux questions des autres. Finalement, il se rassure lui-même et il rassure les autres. Il le fait tellement que ça cache sûrement son propre mal-être et qu’il sait complètement colmater ses doutes par beaucoup de réponses. Je me suis rendu compte, au fur et à mesure du tournage, que ça m’énervait parce que je ne suis pas du tout comme ça. Je trouve ça fatiguant de rassurer. Moi, je préfère le doute.
C. : Avant d’arriver au cinéma, tu as eu un parcours sinueux. Plusieurs cases se sont ainsi remplies : théâtre, publicité, écriture, assistanat, … . Est-ce que tu savais vers quoi tu te dirigeais ?
J.Z. : Non. Il y a eu beaucoup d’expériences, c’est vrai, mais je pense que tout ça, c’est un processus de travail. Depuis quelque temps, celui-ci est devenu très luxueux : tout à coup, je suis vraiment en train de faire du cinéma en tant que comédien et j’adore ça ! Même si je pense qu’à la base, c’est l’écriture, que je construis à côté, qui me plaît vraiment. Tout le reste n’a pour autant été qu'une espèce de grand bordel qui, soudainement, a débouché sur « pourquoi pas du cinéma ? ». Ça s’est fait avec le hasard de la vie, ça n’a pas marché tout de suite, un truc se faisait, l’autre pas. Pendant longtemps, je vivais un peu sans calcul, en fait... quand j’étais amoureux d’une fille, je la suivais. J’ai dû me calmer après parce que …
C. : …Parce que sinon, on va partout !
J.Z. : Sinon, on va partout. C’est clair !
C. : Dans Comme James Dean, le dernier court métrage que tu as réalisé, il y a une phrase plutôt allusive à une de ces préférences : « C’est un auteur avant d’être un acteur ».
J.Z. : Oui, c’est vrai. Bien joué (sourire) ! Les erreurs de parcours me touchent. En fait, je suis tellement paranoïaque que ce que j’aime bien, c’est les gens qui ratent tout qui se transforment en héros… Comme ça, je suis sûr que quelque part, si je rate tout, je serai héroïque ! Et puis, je ne sais pas pourquoi, mais j’aime bien les gens pleins d’espoir qui ne s’en sortent pas. Le plus grand de tous ayant parlé de ce sujet reste quand même Chaplin.
Charlot a beau être en manque d’argent, il se passe plein de trucs fabuleux dans sa vie.
J’affectionne les personnages victorieux dans la création de leur propre vie : ils s’imaginent une vie plus forte que ce qu’elle est. Dans Comme James Dean, quand Mathieu Amalric n’est pas pris pour le rôle de comédien qu’il voulait tant, il dit à sa mère [Chantal Neurwith]: « de toute façon, je n’étais pas fait pour ce rôle. Ça ne m’aurait pas plu ». Tout à coup, il a retourné la situation : finalement, il n’avait pas plus que ça envie du rôle !
C. : C’est de l’humilité ?
J.Z. : C’est de l’humilité ou c’est un peu de la connerie mélangée à l’intelligence afin de rester vainqueur : la façon dont je vois ma vie me fait toujours gagner. Même si tout va mal, je vais bien.
C. : Te souviens-tu de ton premier film vu au cinéma, comme enfant ?
J.Z. : J’ai un souvenir vraiment très fort et intense des Aventures de Pinocchio de Comencini. Je devais avoir entre 5 et 7 ans, j’avais peut-être vu des films avant, mais je me rappelle vraiment que celui-là m’avait marqué. Je trouvais Gina Lolobridgida sublime avec ses cheveux mauves ! Je me rappelle du père qui donne de la nourriture à son fils adoptif : le petit mange avec beaucoup d’appétit alors que le père se sacrifie. Je me souviens que ça m’avait vraiment ému, ce don du père qui se fait maltraiter par cet enfant qui consomme aveuglement sans se rendre compte de quoi que ce soit. Voilà, c’était très beau… Et puis, il y avait la fameuse baleine en carton-pâte ! Tu es un môme, tu y crois. Je suis retombé dessus par hasard à la télé et j'ai préféré la Star Ac’. Non, je déconne ! Ça m’a touché de revoir le petit. Quand tu es marqué par un film dans ton enfance, ça reste très fort imprégné en toi.
C. : Est-ce que ton métier et ta famille sont liés ?
J.Z. : Inconsciemment, sûrement. Je suis issu d’une famille artistique, mais mon métier est plus dû à un non-choix merveilleux. « Que vais-je faire ? Comédien ? ». Au départ, on se dit que ça permettra de faire tous les métiers sans vraiment en faire un. Au bout du compte, c’est encore autre chose : c’est jouer à être quelque chose. J’aime bien cette idée dans ce métier.
C. : C’est souvent le non-choix qui te guide pour tes rôles ?
J.Z. : Sûrement. J’ai l’impression d’avoir le syndrome inverse des comédiens qui disent être comiques et qui rêvent d’un film dramatique. Je pense sincèrement que je suis fait pour la comédie et que je n’ai pas encore eu le rôle qui me permettait de bien l’exprimer. Le problème, c’est que je suis loin de me diriger dans cette direction-là.
C. : Ta filmographie est effectivement devenue très noire.
J.Z. : Cette année, c’est plus que ce que j’en demandais ! Je ne sais pas ce qui s’est passé. J’ai été un peu dans la difficulté parce que j’ai fait trois films super noirs. J’ai eu des propositions de comédies; je me serais amusé à les faire si elles m’avaient convaincu. Mais maintenant, je vais prendre du temps. J’ai une idée de long métrage que j’écris depuis un an.
C. : Envisages-tu de le réaliser et d’y jouer ?
J.Z. : Faire de la comédie en tant que réalisateur m’intéresserait et peut-être en tant qu’acteur aussi. On verra par la suite.
C. : Sens-tu néanmoins que ce film aura quelque chose de belge ?
J.Z. : J’espère qu’on pourra effectivement dire de ce film qu’il est belge dans le sens où je pense que la comédie noire est plus propre à la Belgique ou à l’Angleterre qu’à la France. J’aime le comique pathétique, le ridicule. C’est vraiment quelque chose que j’ai gardé d’ici. Pour moi, la comédie, c’est aussi Woody Allen; le mec est désespéré et ça fait rire.
C. : C’est tragique finalement de se rendre compte que la tristesse nourrit l’humour et inversement.
J.Z. : Exactement. En fait, je trouve que la comédie, c’est la pudeur minimum face au drame. Quand je dis que j’ai de l’humour sur mes rôles, même quand ils sont très noirs, c’est parce que j’admire les gens qui peuvent parler à la première personne et au premier degré. C’est pour ça que, par exemple, Joachim et moi, nous sommes très loin l’un de l’autre. Il a ce « je » qui n’est pas narcissique et égoïste mais qui est très ancré dans son histoire. Pour moi, c’est sûrement beaucoup plus masqué car beaucoup plus pudique et hypocrite. C’est sûrement « je » au bout de compte mais j’essaye de lancer la balle loin pour éviter les étiquettes.
C. : Ce ne serait pas à la limite « eux » ? Avant, tu oscillais beaucoup entre comédie romantique et film noir. Serais-tu inclassable ?
J.Z. : Inclassable ? Non, mal défini, je pense (rires) ! J’aurais pu faire le con tout de suite avec mes trucs à moi, mais comme je me suis plus dispersé, du coup, c’est marrant, l’image d’acteur que je donne. Pour certaines personnes qui ne m’auraient vu que dans des films noirs comme De Battre mon cœur s’est arrêté ou Petites chéries, je passe pour quelqu’un d’odieux. Et dans certaines comédies romantiques, je suis un gars assez silencieux, distant et cool. Mais moi, dans la vie, je ne suis pas cool du tout (rires) ! En tout cas, j’ai la chance d’être vu par plein de gens différemment. Tant mieux peut-être… Je ne trouve pas que le métier d’acteur soit une manière de se définir, mais à la limite une manière de se disperser le plus possible.
C. : Cela fait 15 ans que tu es comédien. Quel souvenir as-tu de 1992 et de tes deux premiers films, Coupable d’Innocence et La Révolte des Enfants ?
J.Z. : Dans La Révolte des Enfants, j’ai pris une balle dans la gueule qui m’a fait brûler au troisième degré. Je suis resté un an à l’hôpital des grands brûlés avec un bandage. J’aurais pu jouer dans La Momie !
C. : Ou dans La Chambre des officiers avec Caravaca !
J.Z. : Oui, aussi !
C. : Tu aurais pu t’arrêter là…
J.Z. : « Tu aurais pu t’arrêter là » : fais gaffe à la manière dont tu le dis (rires) !
C. : …T’arrêter et écrire. Mais ce n’est pas arrivé, puisque tu as continué à jouer. Est-ce que le concept de surprise est resté intact de film en film ?
J.Z. : Toujours. C’est un métier rempli d’étonnements au niveau du dépaysement mental, cérébral et physique. À chaque fois, je suis surpris de me retrouver dans un rôle, dans une histoire et dans un univers imprévu. À présent, j’aimerais approfondir ce que j’avais envie de faire à la base : la comédie délirante.