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Journée consacrée au Cinéma Fantastique & de Genre

Publié le 16/06/2025 par David Hainaut / Catégorie: Événement

Genre en chantier: une journée pour faire bouger les lignes

Ce jeudi 22 mai 2025, cinéastes, producteurs, scénaristes et jeunes talents étaient réunis à la Sabam, lors d'une journée professionnelle dédiée au cinéma de genre. La société belge des auteurs, qui co-organisait l'événement avec Mediarte - acteur actif dans la formation et l’insertion dans l’audiovisuel –, avait l’objectif de faire le point sur les réalités du terrain.

Journée consacrée au Cinéma Fantastique & de Genre

Une envie de concret

Articulée donc, autour du cinéma de genre et du fantastique, cette journée répondait à une véritable attente. "Je savais qu’on remplirait la salle!", nous avait d'ailleurs confié François Stassens (Sabam). Et il a vu juste: la majorité des sièges étaient occupés, signe que le sujet dépasse la petite niche à laquelle on l’associe parfois.

Médiarte et la Sabam collaborent depuis plusieurs années à travers des dispositifs de formation ou d’émergence: marchés thématiques, rencontres, ou la Fabrique du Long – un programme d’accompagnement pour des auteurs en transition vers le long-métrage. Mais c’est la première fois qu’elles mettaient clairement le genre au centre d’un événement de cette ampleur.

Cette mise en lumière répond à une évolution concrète: "On voit beaucoup de jeunes qui arrivent avec des projets de genre", expliquait Alizée Loumaye (Médiarte), "Mais ils se découragent vite. Il leur manque un écosystème. On voulait donc les mettre en lien avec des producteurs. Et surtout qu’ils entendent la réalité." Et de préciser: "Cette journée, c’était aussi pour leur donner des clés, sans leur mentir." L’objectif était donc double: stimuler les vocations, sans masquer les embûches.

Justine Gustin, du Centre du Cinéma, a profité de l’événement pour annoncer l’élargissement des Bourses Orange à des récits relevant du fantastique, de l’horreur ou la science-fiction. Pour rappel, ce programme de soutien à l’écriture, créé en 2019, octroie chaque année quatre aides de 15 000 euros. Après trois éditions centrées sur la comédie, l’édition 2025 marquera donc un tournant. "Les projets de genre restent rares parmi les dépôts au Centre du Cinéma", a rappelé Justine Gustin. Cette ouverture pourrait contribuer à changer la donne. 

Parler clair, sans fard

La matinée s’est ouverte par une masterclass animée par Jonathan Lenaerts, l'un des responsables du Festival International du Film Fantastique de Bruxelles (BIFFF). Autour de lui: Karim Ouelhaj, cinéaste liégeois indépendant (Megalomaniac, L’Œil silencieux), Florence Saâdi, productrice au sein de la structure indépendante Okayss Prod, et Justine Gustin donc, représentante du Centre du Cinéma.

Le réalisateur en a profité pour revenir sur le parcours international de Megalomaniac, son dernier long-métrage inspiré de l’affaire du Boucher de Mons. Ce film a été sélectionné dans plusieurs dizaines de festivals à travers le monde, avec 20 prix à la clé — dont le Cheval Noir du meilleur film à Fantasia (Montréal), une triple récompense à Fantasporto (Portugal) et une sélection officielle à Sitges, de sérieuses références dans le cinéma de genre. Son film a notamment été distribué aux États-Unis, en étant recommandé par le ...New York Times, dans une sélection de cinq films d’horreur à découvrir. Il y était décrit comme "stylisé, noir et dérangeant, sur la folie, la mémoire et l’héritage du mal". 

Entre palmarès et invisibilité

En mars 2024, Ouelhaj a même reçu un prix pour l’ensemble de sa carrière au festival Fantasporto — le même jour que les Magritte du cinéma belge, où son film n'était pas nommé… faute d’avoir été distribué en Belgique! "Je suis revenu avec tous ces prix, et le film n’est toujours pas sorti chez nous", résume-t-il. Un contraste frappant, presque surréaliste...

Il a évoqué son parcours semé d’embûches, avec des refus à répétition et la frilosité des guichets. "Dès qu’un projet est un peu tordu, ça panique. On m’a même dit: fais plutôt un film social, ça passera mieux!". Florence Saâdi, qui produit ses films, détaille: "C’est comme si les gens ne savaient pas où mettre le film. Donc on fait comme si ça n’existait pas." Elle insiste: "Or le genre réclame des moyens. Ce n’est pas juste une ambiance. Il y a beaucoup de travail et d'exigence!"

Et de rappeler, plus tard: "Je reçois pas mal de projets de gens qui veulent juste faire des films pour le fun. Pourquoi pas, mais ce n’est pas ça qui nous intéresse. Ce qu’on attend, ce sont des récits qui disent quelque chose du monde."

Justine Gustin a tenu à rappeler un point: "Il y a un mythe où on croit que le Centre du Cinéma refuse les films de genre. Mais en réalité, on en reçoit très peu! Les commissions ne filtrent pas sur le genre. Ce qui compte, c’est la clarté de l’intention et la cohérence artistique. Mais on reste dans un pays où l’on peut encore tenter ce type de démarches avec un minimum de soutien public." Chacun(e) doit néanmoins avoir conscience de la concurrence qui règne au sein du principal guichet belge francophone, tout genre cinématographique confondu: "Sur les 40 projets de films qui viennent d'être déposés en aide à l'écriture, seuls 4 ont pu être retenus".

Des rencontres qui comptent

L’après-midi a laissé place aux échanges. Le foyer de la Sabam accueillait un marché de projets en format tournant: les jeunes auteur·rices passaient tour à tour présenter leurs idées à des sociétés de production belges, avec quelques minutes par entretien. Six boîtes, aux profils variés, étaient présentes: Artemis Productions, Big Trouble in Little Belgium, Entre Chien et Loup, IOTA Production, Novak Prod et Take Five.

Les producteurs ont insisté sur l’importance de présenter un projet structuré, un positionnement clair, et de faire preuve de curiosité. Le mot "accompagnement" est souvent revenu. Un film de genre, ont-ils rappelé, se pense sur la durée, et s’écrit rarement seul.

Pour de nombreux participants, ces rencontres ont permis de mieux situer leur projet dans le paysage, de comprendre les attentes concrètes du milieu, voire de poser les bases d’une future collaboration. Pour certains, c’était tout simplement la première fois qu’ils présentaient leur idée à une société de production.

Un espoir modeste, mais réel

Bref, si le cadre belge n’est peut-être pas idyllique, il existe. Les commissions sont exigeantes, la diffusion reste difficile, et l’offre de salles parfois trop étroite pour faire exister des films atypiques. Megalomaniac, malgré son palmarès, n’a toujours pas été distribué en Fédération Wallonie-Bruxelles. Et ce n’est pas un cas isolé.

Mais les outils sont là. Et les signaux d’ouverture bien réels. Le genre gagne du terrain: dans les festivals (le BIFFF en tête), dans les formations, dans les projets déposés. Les chaînes et plateformes ont un rôle à jouer, aux côtés des fonds publics, pour permettre à ces œuvres d’exister et d’être vues.

Si cette journée n’a peut-être pas offert de solution miracle, elle a permis de briser quelques tabous, d’épauler les porteurs de projets et de rappeler que le genre n’est ni un luxe ni une excentricité. C'est un langage à part entière, encore trop peu parlé, mais qui mérite d'être entendu. Le chantier est lancé. Reste à voir qui, désormais, aidera à le faire avancer.

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