L'art du scénario
L'art du scénario
Démarrons par le pire : les scénaristes sont-ils des rhéteurs comme les communicants ? En cette année 2012, où les communicants offrent gratuitement l'image scénarisée des hommes politiques aux télévisions plutôt que d'accepter que celles-ci offrent de l'information aux citoyens (voire les campagnes présidentielles en France et aux Etats-Unis), il est permis de se poser la question. Cela nous rappelle furieusement la querelle à Athènes entre Socrate et les sophistes.
Comme nous parlons de cinéma, nous ne sommes pas tout à fait dans le même écran du monde. Ouf. Cela va beaucoup mieux. Au cinoche, il y a des parcours, de la durée. On sait que le scénario n'est qu'une étape, importante certes, mais pas plus, dans le long processus de réalisation d'un film. Il y a aussi le tournage, le tempo musical lorsqu'il accompagne la sonorité des plans, et le montage.
Sur le scénario, Samuel Fuller a écrit ceci : « J'ai appris qu'un scénario doit être une vision très personnelle de ce à quoi un film va ressembler. Ce n'est pas qu'une base de travail, pas le film lui-même ; c'est un outil, pas une œuvre d'art ». (1)
D'où l'intérêt de L'Art du scénario, le livre coordonné par N.T. Binh, Catherine Rihoit et Frédéric Sojcher qui parcourt les différentes étapes de création scénaristique pour parvenir au récit filmique, fiction ou documentaire. Certes, il y a quelques illuminés qui prétendent qu'il existe une règle d'or qu'on ne peut ignorer sous peine de ne point avoir de public. Ces principes du marketing de masse ne marchent pas mieux auprès du public que le non-respect dans l'innovation, dans la création qui est précisément une résistance à l'autoroute des principes. Comme le fait remarquer Frédéric Sojcher : « Qu'ont écrit comme scénarios les auteurs de manuels ? De quelles créations peuvent-ils se prévaloir ? »
L'Art du scénario nous parle d'autre chose : de la pratique. Il s'agit d'une sorte de boîte à outils qui offre l'expérience de cinéastes, écrivains, monteurs, producteurs aux étudiants de Sorbonne 1, au public du Forum des images, et aux lecteurs de ce livre.
Parmi les différentes approches de ces dialogues très socratiques, ceux de Noémie Lvovsky avec Valeria Bruni Tedeschi (fiction) et ceux de Stan Neumann avec Nicolas Philibert et Serge Lalou (doc) nous ont fait filer dans la toile qui se déploie entre scénaristes, acteurs et producteurs. Nous découvrons pourquoi Noémie Lvovsky a choisi Valeria Bruni Tedeschi pour jouer dans Dis-moi oui, dis-moi non, son premier court métrage : parce qu'elle rougissait en disant à un personnage dont elle avait été amoureuse : « Vous êtes devenu un homme », (Hôtel de France de Patrice Chéreau).
D'un zigzag à l'autre, sur le documentaire.
Nicolas Philibert : « La répétition, c'est l'ennui. Il n'y a du plaisir que si on prend des risques. Alors, bien sûr, il peut arriver qu'il y ait plusieurs versions du scénario, mais ça, c'est différent. »
Stan Neumann, sur les sentiers autour du canevas de base, dit ceci : « Il ne faut pas, par exemple, appliquer un système d'écriture extrêmement élaboré et extrêmement formel à une réalité qui ne pourra jamais le supporter, et qui, de toute façon, ne s'y pliera pas ». Il ajoute : « J'utilise l'écriture pour les points aveugles du film. »
On arrête ici, lisez ce livre passionnant.
L'Art du scénario, sous la direction de N.T. Binh, Catherine Rihoit, Frédéric Sojcher avec Jean-Pierre Bacri, Claire Bondel, Valeria Bruni-Tedeschi, Romain Capillo, Laurent Cantet, Emmanuel Carrère, Agnès Jaoui, Serge Lalou, Vincent Lindon, Noémi Lvovsky, Stan Neumann, Nicolas Philibert et Carole Scotta. Editions Klincksieck, coll. Essai caméra. Série Les Ciné-débats.