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La Colline de Denis Gheerbrant et Lina Tsrimova

Publié le 23/08/2023 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Le Purgatoire de feu

Une déchetterie à ciel ouvert à une dizaine de kilomètres de Bichkek, capitale du Kirghizistan, au cœur de l’Asie centrale. Une portion de terre et de déchets de quelques hectares où s'activent des hommes et des femmes. C'est la colline. Les oiseaux charognards planent au-dessus de ce territoire perdu parsemé de fumée. Le documentaire va à la rencontre de ses « habitants », personnes éconduites par la vie et dont on apprendra les histoires personnelles et souvent éprouvantes.

La Colline de Denis Gheerbrant et Lina Tsrimova

Quelques personnes discutent autour d'un poêle sous une tente de fortune. Un couple dont l'homme est un ancien soldat qui a combattu pour la patrie et qui a ensuite été abandonné par l'armée. Ils se connaissent depuis 20 ans. Comme beaucoup, ils ont atterri dans cette déchetterie suite à une série d'exclusions du système économique. Beaucoup ont plongé dans l'alcool pour faire face. Rebuts de la société, ils n'ont plus que cet endroit pour travailler et subsister, lieu-même où sont abandonnés les rebuts d'une société de consommation. Sur ce terrain insensé, paysage de science-fiction ou de récit fantastique, ils ont réussi à créer une micro-société, lieu de socialisation et de communication, de solidarité et de conflits. Inlassablement, ils trient les déchets contre rétribution. Plastiques, métaux, papiers sont patiemment triés dans d'immenses sacs qui finissent par constituer un ensemble d'îlots sur la colline.

Les cinéastes racontent avec justesse et émotion les vies de ces personnes dont cette mère âgée, écrasée par le poids du chagrin dû à la perte de proches et qui, dans une scène particulièrement prenante, évoque son passé à travers un album de photographies en noir et blanc. Ce personnage dit la lutte constante que représente le travail sur la déchetterie. Le témoignage de son fils, inquiet et soucieux pour sa mère, nous raconte ce destin inimaginable que beaucoup ont dû accepter. Des jeunes privés d'avenir font face à leur sort avec sagesse, colère ou angoisse.

La colline est aussi un personnage à part entière du film. Organique et mobile, elle est comme une bête mystérieuse. Les magnifiques et inquiétantes séquences nocturnes où les travailleurs parcourent la colline, lampe sur le front, les flammes et les fumées surgissant de toutes parts, transforment le lieu en une sorte d'entre-deux mondes infernal. De même, poussés et écrasés par les camions-chenilles, les déchets deviennent des peintures abstraites mouvantes et presque vivantes.

Ces portraits d'exclu.e.s permettent de leur donner enfin une voix et une visibilité auxquelles ils et elles n'ont jamais droit et rendent compte avec subtilité de leur courage et de leur dignité.

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