En revenant sur la tuerie de la place Saint-Lambert, épisode tragique qui a marqué la cité Ardente et dont les victimes attendent toujours les explications de la justice, le duo Sylvie Chevalier et Arnaud Dufeys tente, si pas d’expliquer, au moins de comprendre comment un tel drame a pu survenir. Et au-delà des manquements de la justice et des conflits qui opposent encore aujourd’hui l’État et ses citoyens, ce documentaire souligne à coups d’images et d’archives les dérives de notre société qui ont pu conduire à un tel gâchis.
La mécanique du crime : la tuerie de la place Saint-Lambert de Sylvie Chevalier et Arnaud Dufeys, 2023
Tout commence par une matinée tranquille, le 13 décembre 2011. Alors que viennent à peine de sonner les douze coups de midi sur une place Saint-Lambert où le Marché de Noël traditionnel s’étale, des explosions retentissent. Un homme, lourdement armé, jette plusieurs grenades en direction des arrêts de bus, vide ensuite un chargeur automatique sur la foule, avant de se donner la mort. Cinq vies volées, plus de 120 blessés, et douze ans après les faits, de nombreuses zones d’ombres demeurent.
Sans verser dans le sensationnalisme, le réalisateur Arnaud Dufeys et la journaliste et réalisatrice Sylvie Chevalier tentent de lever le voile sur l’affaire Nordine Amrani, homme connu de la justice, en liberté conditionnelle, qui a néanmoins réussi à perpétrer son acte aussi vengeur que désespéré. Un acte impossible à se représenter aujourd’hui, dont les images n’existent que par les caméras de surveillance de la place. Des machines qui n’ont elles-mêmes pas réussi à saisir le meurtrier, uniquement les funestes conséquences de son choix.
Violent, le documentaire l’est pourtant de bout en bout. À la fois au travers des témoignages que les cinéastes recueillent auprès des proches des victimes, dont la détresse est palpable, mais aussi au travers de la réaction de la société à ce gâchis. Car si la culpabilité du meurtrier ne fait aucun doute, celle de l’Etat est également mise en cause, à la fois dans les faillites de son système judiciaire que dans son fonctionnement même. Un homme “à l’enfance fracassée”, selon les amis interrogés ici dans l’anonymat, le tueur a vraisemblablement été victime de sa propre folie distillée par l’isolement et la faillite du système carcéral, gangréné par les filières du grand banditisme. Une spirale infernale de violence tantôt crue, tantôt pernicieuse, conduisant à cette conclusion terrible.
Au travers des archives qu’ils compilent, le duo Sylvie Chevalier et Arnaud Dufeys propose, et nous disposons. Avec une volonté évidente d’objectivité, les cinéastes dressent une fresque plutôt qu’un portrait à charge, laissant au spectateur la possibilité de comprendre sans excuser, de questionner sans défendre. Un travail d’équilibriste mené avec rigueur, dont il résulte un film marquant, et l’envie d’en découvrir plus.
Présenté en avant-première aux rencontres PolitiK à Liège, le film sera diffusé en décembre sur la RTBF.