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La tendresse de Marion Hänsel

Publié le 15/10/2013 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Parce que la vie continue

Trois ans après Noir Océan, Marion Hänsel est de retour sur nos écrans avec un film radicalement différent. La Tendresse, présenté en avant-première au Festival de Namur, est en effet une comédie familiale légère et chaleureuse. Elle nous emmène entre Belgique et Haute-Savoie, en compagnie de deux ex-conjoints qui ont su reconstruire, autour de leur grand fils, des rapports harmonieux et naturels. Scénario original aux fondements largement autobiographiques, La Tendresse est né du désir de la réalisatrice de faire un film solaire, à base de sentiments positifs, "parce que c'est le genre de film que j'ai envie de voir maintenant" (voir notre entretien avec Marion Hänsel également dans ce numéro). Elle s'attache à montrer ce qu'il advient d'un amour, d'une vie de famille dissoute, lorsque le temps a pu effacer les pleurs et les ressentiments et, fidèle à son habitude, elle demande au spectateur d'aller chercher dans le non verbal des personnages toute la richesse et la complexité de ce sentiment quelque peu ambigu qu'elle nomme tendresse. De ce point de vue, tout en finesse d'écriture, subtilité de mise en scène, comédiens formidables, La tendresse est un régal… de gourmet. 

La tendresse de Marion Hänsel

Lisa et Franz se sont aimés. Ils ont vécu ensemble, ils ont fait un enfant puis, ils se sont quittés. Sans doute était-elle séduite par le côté protecteur de ce gros nounours un peu balourd, mais en même temps exaspérée par son paternalisme un peu macho, cette façon condescendante de considérer ses capacités de conductrice ou de l'appeler constamment "fifille". Peut-être qu'impliquée à fond dans son métier, elle n'était pas assez à la maison, mettant entre parenthèses son rôle d'épouse et, parfois, de mère et le privant d’une présence qui lui était nécessaire. Comme toujours chez Marion, cela n'est pas dit explicitement mais se devine dans les rapports des personnages, quelques bribes de phrases… Quinze ans plus tard, un accident de snowboard qui immobilise leur fils dans les Alpes les réunit à nouveau. Il faut aller le rechercher, lui et tout son barda et, sans hésiter, les deux ex se mettent en route dans le 4x4 de Franz. Destination la Vallée Blanche.

L'argument dramatique de ce road movie est plutôt ténu : le voyage de Bruxelles au sommet des Alpes et retour, et les retrouvailles avec leur fils Jack et sa copine dans une station de ski. Mais l'important, c'est d'observer, durant ce voyage, comment ces deux ex, en dehors de tout contexte amoureux, se redécouvrent et s'apprivoisent à nouveau. Le film se compose essentiellement de scènes ordinaires, que nous reconnaissons car la majorité d'entre nous ont pu les vivre au quotidien, par exemple lors d'un long voyage en auto. On les regarde néanmoins sans ennui, car cette simplicité est le fruit d'un long travail d'écriture et de mise en scène. S'il s'en dégage une grande apparence de naturel, un univers familier de scènes qu’on a l’impression d’avoir, c'est qu'elles sont judicieusement choisies. Face à la peur de Lisa quand Franz conduit trop vite à son goût, ou à son désarroi devant la borne du péage et la carte bancaire qui ne fonctionne pas, on ne peut que se dire : "Cela ne s'invente pas". A travers le ton léger, l'humour tendre et ironique, on discerne l'évolution des sentiments. On voit le malaise, voire la méfiance du début céder petit à petit la place à la reconnaissance mutuelle. De vieux réflexes se remettent en place, de vieux jugements refont surface, intacts. On devine aussi que ce qui devait profondément irriter dans la vie quotidienne se révèle moins exaspérant dans ce contexte de retrouvailles temporaires. Les deux évoquent ce qui a changé, ou non, se laissent davantage aller au fil du voyage, puis du séjour en Suisse. Chacun aura aussi à remettre en place ses limites.

Comme toujours, c’est avec une grande subtilité que Marion Hänsel installe ce sentiment mutuel qui fait le charme de son film. Le spectateur devra le deviner au cœur même des personnages. Elle peut compter pour cela sur un couple idéal de comédiens. Maryline Canto incarne en finesse une Lisa sensible, curieuse et vive face à Olivier Gourmet, parfaitement à l’aise en grand ours balourd et tendre, à l’humour piquant. On sent qu'il y a entre ces deux-là une déjà longue complicité professionnelle (c'est leur quatrième film ensemble), qu'ils s'apprécient et ont du plaisir à jouer ensemble. Liza et Franz, c'est un blindage de surface, mélange d'humour et de pudeur et tout ce qui se passe en dessous, dans les maladresses, les regards, les esquives, les gestes avortés. C'est là que la connivence des comédiens et la précision de l'écriture et de la mise en scène font merveille, pour le plus grand bonheur du spectateur. D'autant qu'Adrien Jolivet est à l'unisson (il incarne Jack, le fils, très loin de son rôle dans Noir océan), qu'on apprécie aussi d'excellent second rôle (Margaux Chatelier est Allison, la copine de Jack) et qu'on nous offre, en cerise sur le gâteau, un surprenant caméo de Sergi Lopez qui, en quelques minutes, réussit à donner corps à un étonnant personnage d’autostoppeur. Jolie performance d’acteur.

Marion Hansel choisit, bien sûr délibérément, de montrer un ancien couple qui réussit à reconstruire des rapports complices, et de n'introduire entre eux aucun déchirement. Sans doute, de nombreux autres à leur place se seraient, à un moment, jeté les assiettes à la tête, mais il est plus intéressant d’essayer de discerner, en s'épargnant les orages, ce qui fait que ces deux-là se sont aimés, ont fait un enfant ensemble, et ce qu'il en reste aujourd'hui. Quelque chose de riche, de complexe et d'une douce ambiguïté (qui, ceci dit en passant, rejoint davantage le propos de la chanson de Daniel Guichard que de celle immortalisée par Bourvil avec laquelle Marion choisit de clore son film).

Enfin, avec Marion Hänsel, l'amateur de belles images est toujours gâté. La cinéaste aime filmer la nature et alterne volontiers les plans resserrés sur ses personnages avec des plans larges, ouverts sur l’environnement. Le film respire ainsi grâce à de très beaux paysages de route et de montagne et quelques plans étonnants de maîtrise. D’emblée, on est pris à la gorge par la magnifique scène d’ouverture, avec un champ de neige d’un blanc immaculé, filmé d’hélicoptère, et sur lequel apparaissent graduellement des snowboarders descendant follement la pente montagneuse. La station filmée d'en haut, la nuit, est magnifique. Et allez-voir le premier plan du trailer disponible sur Internet, où deux voitures se suivent sur l’autoroute sur fond de champs de colza (jaune) et de luzerne (verte) filmées de loin avec une étonnante fluidité.
La tendresse démontre finalement que le cinéma de Marion Hansel fonctionne aussi bien dans le registre ouvert et chaleureux que dans un répertoire plus sombre et tourmenté. On en apprécie le charme, l’humour, l’atmosphère un peu décalée, et même si la cinéaste devait décider pour ses prochains films de reprendre un ton plus dramatique, il restera comme un rayon de soleil. On espère aussi qu’il la réconciliera quelque peu avec un grand-public dont elle n’a jamais cherché à se concilier les faveurs. Si La tendresse peut intéresser un public plus large qu'une tranche d'âge déterminée dans une certaine catégorie sociale, le pari pourrait bien être gagné.

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