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La Traversée de Florence Miailhe

Publié le 21/03/2022 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Présenté lors de la dernière édition du Festival Anima, le film de Florence Miailhe est une perle rare, un travail de réalisation titanesque entamé il y a plus de dix ans. La réalisatrice et plasticienne française, ayant reçu le Cristal d’honneur en 2015 au Festival International du Film d’Animation d’Annecy pour l’ensemble de son œuvre, recourt ici encore à sa technique de prédilection : la peinture animée. Comme pour Schéhérazade (1995), Histoire du Prince borgne (1996) et Conte de quartier (2006), elle coécrit La Traversée avec l’autrice de littérature jeunesse Marie Desplechin et reçoit le prix du scénario au festival Premiers Plans d’Angers en 2010.

La Traversée de Florence Miailhe

Dans ce film, on suit Kyona et Adriel, deux jeunes enfants contraints de fuir après le pillage de leur village natal. Séparés du reste de leur famille au début de leur traversée, les deux protagonistes se retrouvent seuls sur les routes de l’exil. S’ensuivent des rencontres, des épreuves qui jalonnent ce voyage initiatique au cœur d’un continent où la chasse aux migrants fait rage. Cette traversée, c’est celle de l’enfance à l’adolescence, celle d’un frère et d’une sœur en proie à l’incertitude d’atteindre un pays libre.

Pour réaliser ce long métrage, Florence Miailhe s’inspire des souvenirs familiaux de ses arrière-grands-parents qui ont fui les pogroms d’Odessa au début du XXe siècle, de sa mère et de son jeune frère tentant de rejoindre la zone libre pendant la Seconde Guerre mondiale. Même si le film repose sur des souvenirs personnels, sa force réside dans son universalité. Le récit livré fait référence aux parcours de nombreuses familles d’aujourd’hui qu’elles soient syriennes, kurdes ou soudanaises. Le parcours de Kyona et d’Adriel se situe sur une carte imaginaire dont les contours évoquent ceux de l’Europe d’hier, d’aujourd’hui ou de demain.

Sur leur chemin, les deux enfants rencontrent une série de personnages : Iskender, un chef d’un gang d’enfants des rues, Jon, un trafiquant, receleur, Madame, directrice d’un cirque qui tente de conduire ses artistes migrants aux frontières : des personnages aux personnalités bien définies qui font référence à ceux et celles que les migrants peuvent croiser sur leur route. Kyona accrochée à son carnet de croquis, n’a pas froid aux yeux et fera tout pour conduire son frère au-delà de la frontière, Adriel, plus sensible et influençable, ne manque pourtant pas d’audace. En passant de l’enfance à l’adolescence, les héros s’adaptent aux situations, évoluent et grandissent. Un récit initiatique qui s’appuie aussi sur certains contes traditionnels comme Hansel et Gretel, Le Petit Poucet et Oliver Twist. Le frère et la sœur croiseront sur leur chemin des adjuvants et des opposants s’apparentant tantôt à une sorcière tantôt à des ogres.

Au-delà du fond, c’est la technique utilisée par Florence Miailhe qui laisse des traces. Des traces de peinture, des couleurs chatoyantes qui surgissent de l’écran. D’habitude penchée seule sur ses vitres rétro éclairées, pinceau à la main, la réalisatrice a été accompagnée pour cette réalisation, qui a duré trois ans, par une équipe de dix décoratrices et de quinze animatrices et animateurs. Le résultat, d’une grande cohérence graphique, est sublime.

La Traversée, c’est celle d’un parcours géographique, celle d’un parcours personnel, celle d’une transition, celle d’un film qui a mûri pendant plus de dix ans, celle d’une réalisation minutieuse et réfléchie. La Traversée est un objet universel, poétique et indispensable pour expliquer aux jeunes adolescents les différentes étapes par lesquelles peuvent passer les exilés d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

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