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Le Cauchemar de Darwin d'Hubert Sauper

Publié le 01/03/2006 par Anne Feuillère / Catégorie: Sortie DVD

Inventaire

Le Cauchemar de Darwin vient de paraître en DVD. Edition ultralight pour ce film coup de point. Le film, donc, sous-titré en français ou en néerlandais. Les chapitres… Et voilà tout.
C'est bien, mais c'est peu, car Le Cauchemar de Darwin est nominé aux oscars, il vient de remporter un César, il est vendu partout à travers le monde, et il sort un peu partout en salles – ce qui est un exploit, malheureusement, pour un documentaire. De plus, une polémique prend forme. La revue terriblement respectable de Gallimard, dont le dernier numéro est consacré à Frantz Fanon, Les Temps Modernes, publie un article de François Garçon, historien, qui détaille le film de Sauper pour le confondre. Et Sauper de répondre. A cette dispute, vient s'ajouter, dans une récente édition des pages cinéma de Libération, une mise en présence des deux hommes. A quand, on se le demande, l'incontournable article de Bernard-Henry Lévy sur le sujet ?

Le Cauchemar de Darwin d'Hubert Sauper

Alors, on regrette franchement une version du film commentée par le réalisateur où nous aurions pu savoir si oui ou non, ces avions amènent des armes quand ils atterrissent ; pourquoi Sauper demande t-il à ces trois prostituées de regarder les images d'Eliza, cette jolie femme assassinée d'un coup de couteau pendant le film par l'un des hommes à qui elle vend ses nuits ? (L'expression n'est pas de nous. C'est un usage impromptu de la litote).
Et à propos, ces cartons aux informations laconiques, ces fondus au noir, ce montage "subtilement" en crescendo vers l'horreur… ? Et que pense-t-il, lui, Hubert Sauper, de ce film montré pendant le congrès écologique au Kenya, ce tout petit film avec une voix off de bande annonce de blockbuster américain, des trémolos dans la voix et de la musique sirupeuse sur les ravages du monstre du Lac Victoria, quand on vient d'apprendre que tous ces gens crèvent à petit feu du sida ? Et si cette si belle femme malade qui sait à peine dire qu'elle n'arrive plus à manger, oui, si elle est toujours en vie ? Enfin, nous aurions aimé savoir ce qui avait mené Hubert Sauper en Tanzanie, et non pas en Sierra Leone (où d'autres industries - du diamant, cette fois - se livrent une lutte acharnée) ou au Congo (où l'on sait bien que le nord du pays est à feu et à sang) ou ailleurs (en Angola, en Côte d'Ivoire, au Tchad ou au Soudan, à la frontière de l'Erythrée… les pays du continent africain déchirés par la guerre ne manquent pas…) ou sans doute, sa quête du trafiquant d'armes aurait été plus convaincante...
S'il faut voir Le Cauchemar de Darwin, ce serait peut-être pour trois raisons. Y voir d'abord ce qu'Hubert Sauper filme : tout ce sordide écoeurant, et la destruction systématique de ces vies humaines, les ravages du capitalisme, ce système totalement absurde qui veut qu'un pays base son économie sur du poisson qu'il exporte à la tonne quand ses habitants crient famine (mais est-ce vraiment plus absurde que les kilos de bouffes périmés que nos hypermarchés modernes jettent ou brûlent quand des gens, ici aussi, crèvent la dalle ?). Y voir ensuite comment un documentaire construit un discours, et comment ce montage, très lentement, construit du sordide. Y voir enfin, pour éloigner tout ces clichés sur cette Afrique misérable et victime (des putes, du VIH, des pieds dans la merde, des enfants drogués, des russes trafiquants d'armes, des histoires de machettes et de flèches empoisonnées) donc, y voir enfin le courage des pêcheurs, leur peau noire et lumineuse, leur tête haute, le sourire doux de Jonathan, l'enfant des rues qui peint la misère en courbes douces et en couleurs vives, qu'on y sente l'âpreté de la vie, et l'énergie de ces enfants des rues qui courent, sautent, se battent, rient et pleurent et vont en tous sens, et celui qui veut être pilote. Et qu'on regarde bien Eliza, la prostituée assassinée, chanter et se moquer de ce gros blanc à ses côtés, qu'on y sente la bataille, la vie qui bat…
Enfin voilà, y mettre peut-être un peu de respect et d'admiration, ce qui  manque à Sauper pour les êtres qu'il filme et dont il ne nous épargne rien.


DVD, édité par Imagine et Mélimédia.

 

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