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Les Miennes de Samira El Mouzghibati, 2024

Publié le 20/08/2024 par Basile Pernet / Catégorie: Critique

Au sein de la riche programmation du BRIFF 2024, figure le premier long-métrage de Samira El Mouzghibati, intitulé Les Miennes, récit autobiographique et intime, centré sur les rapports complexes qu’entretiennent les différents membres d’une famille musulmane établie à Bruxelles. Alors que la plus jeune, Samira, arrive en âge de se marier, elle engage le dialogue avec sa famille dans un climat de confidentialité. Récit d’une déconstruction, cette enquête personnelle met en lumière un certain nombre de secrets et d’événements tragiques qui confortent la jeune femme dans deux directions distinctes et complémentaires : redéfinir un cadre familial favorable pour tout le monde et aborder sa propre vie en se garantissant une liberté pleine et assumée.

Les Miennes est actuellement sélectionné au festival de Lussas, France.

Les Miennes de Samira El Mouzghibati, 2024

Alors que tout semble l’inciter à suivre l’exemple de ses sœurs qui se sont mariées jeunes, sans forcément connaître leur époux ni avoir la possibilité de donner leur consentement, Samira remet en question l’ordre moral patriarcal qui dicte la vie des femmes. Élevée par ses sœurs, elle s’est progressivement détachée du modèle de sa mère, austère et muet, privé de liberté et d’indépendance. Elle n’est toutefois pas insensible à la tristesse du regard de celle-ci – un regard qui, en définitive, exprime beaucoup –, à cette tentation sans cesse refouler de révéler à ses filles certains secrets qu’elle a longtemps occultés. Cette douleur réprimée pousse Samira à se mobiliser pour sa famille, à agir, à questionner et à décrypter. Elle est en outre soutenue par sa mère et ses sœurs, qui voient dans son projet une alternative efficace à l’intervention d’un psychologue ou d’un imam. Le père, dans une posture ambiguë, ne traîne pas à demander de façon péremptoire : « Qu’est-ce qui vous manque ? » ; ce à quoi son épouse déplore le manque de dialogue au sein de la famille. Dès lors le voile est levé, quelque chose de nouveau peut naître sur la base d’une communication saine, c’est-à-dire axée sur l’écoute, la délicatesse et la patience.

La démarche de Samira El Mouzghibati englobe plusieurs étapes, dont une redéfinition de notions telles que la famille, la liberté, la tradition, ou encore la virginité. Dans un second temps, elle s’efforce d’interroger sa mère sur les moindres détails de sa vie, l’incitant à se détacher de la pression patriarcale et donc à se dévoiler. C’est alors au plus près de l’intimité de sa mère qu’elle identifie des similitudes de caractère entre elles deux, mais aussi en matière d’opinion. Le sentiment contrarié qu’elle ressent, mêlé d’indignation et de compassion, lui permet d’avancer encore un peu plus dans ses questionnements.

À partir de toute une sélection d’images issues de téléphones portables et de vieux caméscopes qu’elle intègre à son film, la jeune réalisatrice reconstruit sa propre histoire et celle de sa famille. La vie réelle n’admettant pas de changer le cours du passé, le cinéma en revanche peut permettre de reconsidérer l’ordre et la logique de toute une histoire, qu’elle soit réelle ou fictive, voire un peu les deux… Il peut être un puissant outil de recherche, de compréhension, et surtout de communication. Dans sa grande lucidité, Samira entrevoit la pertinence d’un tel exercice auprès des membres de sa famille, peu accoutumés à l’idée de mise en scène. Elle vise juste puisqu’en les déstabilisant, elle parvient à les faire parler après tant d’années de silence, de dissimulation et de mensonge. 

Les Miennes est un film qui témoigne d’une grande audace, tant au niveau thématique que stylistique. Un récit orienté vers l’intime, qui s’adresse à toutes les familles de notre société contemporaine.

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