« Le temps n'est pas le fait d'un sujet isolé, mais il est la relation même du sujet avec autrui »
Emmanuel Levinas, Le temps et l'autre, éditions PUF.
« Le temps n'est pas le fait d'un sujet isolé, mais il est la relation même du sujet avec autrui »
Emmanuel Levinas, Le temps et l'autre, éditions PUF.
La mère de Chantal Akerman, est une ménagère bruxelloise qui depuis la mort de son mari, partage sa vie avec ses deux filles. L'une Clara vit au Mexique et l'autre Chantal, voyage sans cesse de Paris à New-York en passant par Bruxelles pour voir sa mère. Celle-ci se refait une santé après une grave maladie. Raconté comme cela le texte de Chantal Akerman ressemble au pitch d'un de ces film formaté qui remplace les médicaments pour dormir. Epargnons cela à nos lecteurs. Recommençons.
Réalisatrice en 1968, de Saute ma ville, un court métrage sidérant, Chantal Akerman a fait voler en éclat les dispositifs cinématographiques classiques pendant plus de quarante ans de la fiction au documentaire.
Son livre, une autofiction écrite sur le vif passe de la brulure à l'exaltation en s'affrontant à la vie quotidienne qui n'est plus celle d'une jeune fille rangée dans les années 30 comme Simone de Beauvoir mais plutôt une jeune fille émancipée des années 60, des « sixties », comme disent le nostalgiques de l'époque.
Fidèle a elle-même elle saute de l'impudeur à la pudeur, de la passion à sa déraison, de la sensibilité pulpeuse de l'immédiat à la longue durée du temps. Son texte fragmenté comme des séquences de cinéma ressemble à des partitas et sonates de Bach. L'écriture tisse sa toile autour de la différence et de la répétition à quelque notes près. Elle a un tempo de l'Adagio au l'Allegro joué au violoncelle ( la voix la plus humaine d'un instrument de musique).
Ma mère rit nous plonge dans la confrontation avec soi et avec l'autre, c'est-à-dire avec cet autre qui est en nous. Le travail de la mémoire qui opère dans beaucoup des films de Chantal Akerman se retrouve dans ce livre surprenant qui joue à saute-mouton près d'une mère qui est un roc permanent, vitaliste et ordonnée autour du nomadisme de ses deux filles (Chantal et Clara) qui ne cessent de se déplacer dans le monde, de l'Europe à l'Amérique du nord et du Sud.
Citons l'un des beau et troublant passage – malgré sa mélancolie – sur l'enfance éternelle, l'apprentissage de la vie et la transmission qui s'opère des parents aux enfants : « L'enfant c'est elle, c'est moi. Et maintenant je suis vieille, je crois avoir soixante ans. Et même plus. Et j'en suis toujours là. Je n'ai pas d'enfant. Qu'est ce qui va me tenir la vie après. Pourrais-je vivre pour dormir, me lever, manger, me coucher. J'oubliais écouter la radio. J'écoute la radio. Ce n'est plus le moment de faire les quatre cent coups. Et je suis contente quand le soleil se couche pour me coucher aussi. »
Outre le mal de vivre ou la raison et la déraison ne cesse de s'alimenter, des insomnies, de diverses angoisses celle de vouloir mourir ou de continuer à vivre, de médocs qui permettent de surnager, de la solitude qui peut se combattre dans les ritournelles amoureuses. Citons un autre passage qui nous touche, oui, oui et on n'est pas des beni oui-oui du cynisme ambiant. Chantal chez sa mère à l'Hôpital : « Moi mes vêtements négligés, mes cheveux pas peignés, tout cela la dérangeait, lui faisait mal. Cela allait trop à l'encontre de ce qui la rassurait.
Un monde lisse. Très lisse, sans chemise pas repassée, ni mauvaise surprise » (…) « La presse sur moi, mes films, compensait un peu, mais pas tout à fait. Elle découpait les articles dans les journaux et les gardait. Mais si seulement j'avais les cheveux bien peignés ce serait mieux. Vraiment mieux ».
Il y a plein de photos tirées de l'album de famille en sépia ou en couleur qui illustre les pages du livre. Sur une double page, en couleur, Delphine Seyrig de la main Gauche se brosse les cheveux et de la droite se regarde sur un petit miroir. Un plan instantané des images mobiles que nous avons put voir dans Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles. Au fond Jeanne soigne ses cheveux comme la maman de Chantal et comme elle aurait aimé que Chantal le fasse.
Chantal Akerman, Ma mère rit, éditions Mercure de France, collection Traits et portraits.