Pour son premier long métrage de fiction, Rosine Mbakam filme le quotidien d’une artisane dans les faubourgs d’une mégapole camerounaise. Très tôt remarquée à travers le monde pour la grande qualité d’approche dans ses films documentaires, la réalisatrice tente un premier pas dans le monde de la fiction sans décrocher de son désir de filmer le réel et témoigner des préoccupations des personnes de sa génération. Mambar Pierrette était sélectionné à la Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes.
Mambar Pierrette, de Rosine Mbakam
La bicoque est fébrile, du plafond pendent mille soleils et, sur sa table de bois bricolée, Pierrette agence les couleurs en plis longueurs et cols distingués. Dans un quartier défavorisé de Douala, la capitale économique du Cameroun, Pierrette est couturière. Elle est aussi la confidente, l’amie et sans doute la psychologue de sa clientèle. Au même titre que la coiffe, le tissu enveloppe de ses formes les rituels fondamentaux qui rythment le quotidien. Pas de rentrée scolaire sans un uniforme impeccable, ni de mariage d’ailleurs et qu’est-ce qu’un deuil sans l’apparat adéquat ? Alors Pierrette parle et fait parler les personnes qui rendent visite à ses tissus ; elle badine et écoute les histoires de chacun et chacune et, entre ces échanges plus ou moins intimes, se glissent les âpres négociations financières d’un ton distant et tout à fait entendu. Le temps de la mise en place, on découvre les codes savamment tissés de ce microcosme bricolé et fragile, mais diablement lumineux et, à l’image du moins, apaisant. Mais Pierrette est aussi une maman célibataire qui s’occupe du bien-être de ses enfants ; une fille modèle qui masse chaque matin les jambes endolories de sa maman ; une femme enfin qui tente de faire valoir ses droits face à une administration sourde à ses conditions de vie. Résiliente, Pierrette jongle avec toutes ses vies dans un environnement qui peut se révéler particulièrement hostile quand pluie torrentielle et arnaqueur s’ajoutent au flot de préoccupations…
Pour la première fois de sa carrière, Rosine Mbakam réalise un long métrage de fiction pour dépeindre le vécu de personnes qu’elle aime et connaît de près. Au civil, Pierrette est sa cousine et les interprètes, des membres de sa famille. Sa caméra suit au plus près du corps les mouvements de son personnage et c’est en plans serrés que nous embarquons dans ses pas et ses déboires depuis les massages faits à sa mère jusqu’aux dispositifs de survie pour faire face aux intempéries destructrices. Si le dispositif est maîtrisé, la mise en fiction de ces quelques moments de vie condense une cascade de catastrophes qui souligne avec un peu trop d’emphase le caractère héroïque et résilient de Pierrette. La seconde partie du film, plus clairement fictionnelle, finit par faire regretter la première, celle de la découverte d’un quotidien tout en nuance et en finesse relationnelle qui rappelle directement le salon de coiffure étriqué de Matonge et sa coiffeuse dans son fascinant documentaire Chez jolie coiffure (2018). Néanmoins, avec Mambar Pierrette, Rosine Mabkam, propose une plongée de l’intérieur dans les quotidiens d’habitants des faubourgs de cette mégapole camerounaise qui, en soi, vaut le détour.