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McLaren - coffret. McLaren et Raoul Servais

Publié le 10/11/2006 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

"Norman McLaren" par Raoul Servais par

 Norman McLaren (1914-1987)

Né en Ecosse en 1914, Norman McLaren entreprend des études à l’école des Beaux-Arts de Glasgow. Découvrant le cinéma abstrait d’Oscar Fishinger, il abandonne la peinture pour le cinéma et réalise, en 1935, Camera Makes Whoopee, remarqué au Festival de Glasgow et qui mêle pixilation et surimpression. Il est ensuite engagé pour être l'opérateur d'Ivan Montagu pour Defence of Madrid, puis par John Grierson au service cinématographique des postes britanniques (GPO) où il réalise des films d’animation sous la direction d’Alberto Cavalcanti. En 1939, la guerre lui fait prendre le chemin de l’Amérique. D’abord New York, où il travaille pour le musée Guggenheim et y élabore ses premiers films abstraits, puis à Ottawa et à Montréal. John Grierson l’invite à le rejoindre à l’Office national du film du Canada. Il va y réaliser, entre 1941 et 1983, une quarantaine de courts métrages.
Infatigable expérimentateur (précurseur de l’infographie et du numérique), l’œuvre de Norman MacLaren est devenue incontournable dans le paysage cinématographique de l’expérimentation depuis cinquante ans. Elle repose souvent sur l’animation d’objet et une intervention directe de McLaren sur la pellicule.
McLaren, qui eut aimé devenir chorégraphe, avait un sens inné de la musique, du rythme, du tempo (l’oreille musicale absolue). Il sera le premier à graver directement sur la piste sonore en se passant de l’enregistrement !  
Un coffret collector de 7 DVD comprenant l’intégralité de son œuvre (Grande-Bretagne, Etats-Unis, Canada) vient d’être édité par l’ONF (15 documentaires thématiques inédits, 58 films remasterisés auxquels sont joints des tests et documents inachevés permettant d’en expliquer la genèse.
Extraits des propos de Jacques Bensimon dans le livret d’exposition du coffret :
« Véritable génie de l’image en mouvement, Norman McLaren a su profiter au maximum des possibilités offertes par l’Office national du film du Canada, où il a fondé le studio d’animation en 1941 et au sein duquel il a œuvré de façon continue jusqu'à la fin de sa carrière. Là, au sein d’une organisation qui lui permettait de travailler à l’abri des considérations commerciales, bénéficiant d’un soutien technique exceptionnel et entouré de collaborateurs dévoués, il a pu s’épanouir et laisser jaillir le flot de son esprit novateur. L’influence créative de Norman McLaren a attiré de nombreux animateurs venant de l’étranger. Avec lui, c’est une véritable école mondiale du cinéma d’animation qui s’est établie à l’ONF. »
Nous avons demandé à Raoul Servais, l'un de nos plus grands animateurs européens, d’évoquer une figure de l’animation qu’il a eu l’occasion de rencontrer à maintes reprises.

Entretien avec Raoul Servais

Cinergie : Norman McLaren est considéré par beaucoup comme l’un des plus grands expérimentateurs du cinéma d’animation ?
Raoul Servais : Oui, c’est évident. McLaren est un pionnier du cinéma d’animation, à tout point de vue, parce qu'il a imaginé et inventé plusieurs systèmes et, chaque fois, il a su se renouveler en créant de petits chefs-d’œuvres. Je connaissais son œuvre avant de le rencontrer. La première fois que je l’ai vu, c’était à l’époque où le Festival expérimental de Knokke-le-Zoute existait encore. Il faisait partie du jury. Plus tard, invité par le festival du film de Montréal pour présenter un de mes films, il s'est excusé de son absence et m’a laissé un petit mot en me disant qu’il aimait beaucoup Chromophobia. Je l’ai vu ensuite plusieurs fois, entre autres à Annecy et la dernière fois lors d’une rétrospective de mes films organisée par l’ONF. Il avait organisé une réception. On a eu une très longue conversation, sur le cinéma, bien sûr. Malheureusement, c’est la dernière fois que je l’ai rencontré. Il est mort beaucoup trop jeune.

C. : Est-ce qu’on peut dire que le surréalisme a été un grand apport pour McLaren ?
R.S. : Je ne sais pas. J’ai un doute. Il a fait l’une et l’autre chose qui sont proches de l’esprit du surréalisme mais je ne crois pas que ce soit le facteur le plus important de son œuvre, qui est très variée. Il y a d’abord toute la partie grattée et dessinée sur pellicule, puis l’utilisation d’acteurs réels filmés image après image, en pixilation, comme par exemple Les Voisins. Il a fait ensuite des travaux avec du pastel animé, de la peinture animée. Il a touché un peu à tout avec talent et enthousiasme.

C. : Une chose frappe chez McLaren c’est sa passion pour la musique.
R.S. : Oui et ça se ressent surtout dans Le pas de deux qui est un film génial. Parfois, la musique est tellement présente – je pense à un de ses films qui n’est pas parmi les plus appréciés mais que j’aime  beaucoup, Les lignes horizontales suivi de Les lignes verticales – tellement belle et ses dessins tellement simples que ça m'envoûte. La musique et l’image font un ensemble absolument unique. La mélancolie qui s’en dégage me fait dire que c’est l’un de ses meilleurs films. Même si cet avis n'est pas partagé par tout le monde...

C. : On a été impressionné par Sphères
R. S : Sur la musique de Bach, oui c’est très beau, mais c’est déjà plus sophistiqué que Les lignes Horizontales et Les Lignes verticales ou Le pas de deux. C'est incroyable qu’il ait réussi à transformer l’image de cette façon-là alors qu'il n’y avait pas encore d’ordinateur. Il devait donc utiliser des instruments optiques primitifs.

C : Il a, semble-t-il,  été le premier à utiliser la bande-son plutôt que de se servir d’un enregistreur ?
R.S. : Il a dessiné le son. C’était intéressant parce qu’une fois encore, il a exploré une voie. Mais il n’était pas le premier à le faire. Il y a eu d’autres tentatives surtout en Union soviétique. Deux ou trois chercheurs russes ont dessiné sur des feuilles de papier, photographié et réduit à la dimension de la piste sonore. L’un d’entre eux a même réussi à dessiner une symphonie de Chostakovitch. Cela fonctionnait très bien et c’était plus pur que l’enregistrement d’un orchestre symphonique. McLaren n’était donc pas le premier et sa méthode n’était pas très sophistiquée : il ne dessinait pas, ne réduisait pas et ne reportait pas sur pellicule puisqu’il peignait directement avec le pinceau sur la pellicule.. Peut-être l’a-t-il fait après  mais je n’en suis pas certain.

C. : On a aussi été impressionné par la manière dont au début de son parcours en Angleterre, il jouait sur une image quasi documentaire en la transformant. On rejoint l’un de tes soucis : mélanger une image réaliste à une image dessinée.
R.S. : Oui, c’était à ses débuts effectivement. C’était une époque où, en Angleterre, on faisait des recherches pour mélanger les deux cinématographies. Entre autre avec Les Voisins qui mêle l’animation avec des acteurs en chair et en os.

C. : Ton travail est davantage centré sur la captation de la réalité mise en images ?
R. S. : A part Les Voisins, qui apporte un message très très fort, les films de MacLaren ne sont pas très engagés : il s’agit de recherches plastiques et visuelles. Dans mon œuvre, ce qui est essentiel c’est ce que je veux communiquer, ensuite, en second lieu, il y a la façon dont je communique.

C. : Que penses-tu de la passion de McLaren pour la peinture ? Si je ne me trompe pas, il avait commencé par étudier la peinture dans une académie. C’est un point commun entre vous deux ?
R. S. : C’est évident. Nous avons une formation de graphiste et de peintre. Lorsqu’il pratique à ses débuts le grattage ou le dessin sur pellicule, il fait le cinéma du pauvre, sans caméra. Il suffit d’un peu d’encre, un pinceau ou même une plume à gratter et vous pouvez faire un chef-d’œuvre, à condition d’avoir de bons yeux et de la patience (rires). …parce que c’est moins facile qu’on le croit. Ce qui est extraordinaire chez McLaren, c’est qu’il réussit, à chaque fois, à créer de véritables feux d’artifice.

C. : Un autre point qui vous rapproche c’est l’expérimentation à chaque film. Comme toi, il ne se répète pas. C’est à chaque fois un prototype.
R.S. : Absolument. Nous nous ressemblons par notre goût de la curiosité, de la découverte, du renouvellement. C’est quelque chose de très présent chez McLaren. Plus encore que chez moi, puisqu’il a fait davantage de films. Il y a un vrai plaisir à surmonter les difficultés, le plaisir de pouvoir se dire : « Ah, j’y suis tout de même parvenu ». Je suis certain que c’était la même chose chez lui. Il a eu l’avantage d’avoir des producteurs tout au long de sa carrière, la poste anglaise et l’ONF et n’a pas connu d’insécurité financière.

C. : Comment avance le projet de ton prochain film ?
R. S. : Il reste au niveau de l’écriture. J'ai besoin d'un producteur. Comme il s’agit d’un projet ambitieux, ce n’est pas facile à trouver en Belgique.

Norman McLaren, L'intégrale (7 DVD), édité par L'Office National du Film du Canada, distribué par Come and See. (http://www.come-and-see.be/) 

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