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Monique Mbeka Phoba - Entre la coupe et l'élection

Publié le 01/07/2009 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Quand le sport et la politique se rencontrent 

Celle ou celui qui est capable de veiller jusque tard dans la nuit, de se lever aux petites heures pour suivre en direct la rencontre Allemagne-Pays-Bas ou Italie-Brésil, ou même qui situe les événements historiques ou ceux de son parcours personnel en fonction des dates des matchs de la Coupe du Monde du football, saura que, lorsqu’on évoque les Léopards du Zaïre, on fait référence à un épisode dramatique du football africain. Le Zaïre, premier pays d'Afrique noire entré dans la compétition pour participer aux rencontres du Mundial en 1974, fût, avec son équipe des Léopards, l'honneur de tout un continent pendant les quelques mois précédant l'ouverture des matchs, et sa douleur honteuse lors de sa cuisante défaite, piétinant d'un seul coup l'espoir de reconnaissance du peuple noir. C'est cette descente aux enfers qui nous est naïvement contée par deux jeunes aspirants cinéastes congolais sous la direction maîtrisée de la documentariste Monique Mbeka Phoba et de Guy Kabeya Muya. Ils sont partis à la recherche des anciens Léopards, ceux qui furent honorés par Mobutu et qui l'ont suivi dans sa chute, pour disparaître dans l'oubli. 

Rencontre avec Monique Mbeka Phoba, récemment rentrée à Bruxelles, ambassadrice du film collectif Entre la coupe et l'élection, qu'elle a dirigé.


Monique Mbeka Phoba : C 'est la sortie de La Vie est belle, le film co-réalisé par un compatriote, Mweze Dieudonné Ngangura et par Benoît Lamy en 1987, qui m'a donné envie de faire du cinéma. Alors que je faisais des études de sciences commerciales, je me suis prise de passion pour le cinéma. C'est ainsi que j'ai découvert les Ateliers Varan, initiés par Jean Rouch, avec le film Chroniques sud-africaines, réalisé au moment de la chute de l'apartheid. J'ai suivi la formation de trois mois à Paris, et puis, je me suis lancée sans attendre dans la réalisation. En 1991, j’ai réalisé Revue en vrac, sur la naissance de la presse indépendante et pluraliste au Congo à la fin de la dictature mobutiste. C'était un film sans prétention, mais c'était le regard de l'intérieur sur les changements politiques du moment.
Depuis, je n'ai pas arrêté.
En 2005, dans le cadre du mois du documentaire, le Centre Wallonie-Bruxelles de Kinshasa m'a invité pour présenter mes films. J'ai pu montrer mes huit films et rencontrer le public congolais qui ne me connaissait pas très bien, ayant habitée le Bénin pendant treize ans. J'ai mené un atelier avec des jeunes aspirants cinéastes qui désiraient faire du cinéma leur métier. Lors de cette première rencontre, qui a duré trois ou quatre jours, ils se sont efforcés de définir le film qui n'avait pas été fait sur le Congo, mais qui leur semblait important qu'on fasse. Sur les dix sujets proposés, il y avait ce projet-là : l'histoire de la première équipe de football africaine subsaharienne à avoir participé à la Coupe du Monde, l'équipe du Congo. Événement que tout le monde a oublié, sauf là-bas, où cela reste encore un événement marquant et qui remue encore beaucoup de passion dans les récits, 34 ans plus tard. Le sujet me paraissait d'autant plus intéressant que l'année suivante, en 2006, la Coupe du Monde avait lieu en Allemagne, et que, de ce fait, on pouvait espérer plus de facilité dans nos recherches de fonds. Emballée par l'enthousiasme des jeunes, je me suis proposée de superviser leur réalisation et d'en faire un film d'atelier, pendant lequel j'assumerais leur formation pratique. Je me suis peut-être un peu trop précipitée. En définitive, cela nous a pris trois ans pour faire ce film ! C'est grâce à l'implication totale de ces jeunes qu'il a été fini ! À l'époque, je vivais encore au Bénin. J'ai passé deux fois dix jours avec eux, pour visionner les rushs qu'ils avaient filmés en mon absence. Auparavant, on avait travaillé les personnages à interviewer, les questions à poser, les lieux à filmer, etc. À la première vision, j'ai commencé à éliminer ce qu'on pourrait appeler « les travers des débutants » : le zooming intempestif, l'objectif absolument dégoûtant qui rend l'utilisation des images impossible. On a passé en revue ce qu'il ne faut absolument pas faire. Par la suite, ils m'envoyaient les cassettes de films au Bénin. Je faisais un pré-montage avec mon mari, Guido Welkenhuysen, qui est monteur professionnel. Quand ça n'allait pas, je les faisais recommencer, et à force, certaines erreurs ne sont plus revenues. L'objectif premier du film, à savoir être un atelier de formation, a été atteint. Rien que pour cela, j'en suis très heureuse !

Je dois remercier mon mari, Guido Welkenhuysen, qui a pu sauver des séquences que n'importe quel monteur, et lui le premier, aurait mises à la poubelle. Mon insistance et leur enthousiasme lui ont fait faire de véritables exploits techniques ! Ce qui est extraordinaire, c'est que ce film, contre toute logique, est enfin fini, qu'il passe sur une chaîne publique en Europe, et qu'il a été sélectionné au FESPACO ! Grâce à ce film, on s'est rendu compte que ces footballeurs, oubliés du système, existent toujours. Les gens croyaient qu'ils étaient tous morts, et avec ce film, on les a ressuscités ! Comment peut-on laisser des héros nationaux comme les Léopards, dans l'oubli total ? C'est ce que j'ai trouvé beau; ce regard d'un jeune, Demato, sur des anciens en situation catastrophique et se demandant ce qu'il peut faire pour les sauver de l'oubli. Il y a eu, autour de ce film, une sorte de convergence pour que ce jeune kinois de 22 ans atteigne son but. Les autres jeunes ont laissé tomber leur projet personnel pour s'unir autour de sien ! Et puis, ils ont dû apprendre à filmer, à aller chercher les personnes à interviewer, à récolter leurs témoignages pour faire un film sur la plus grande équipe de l'histoire de notre pays ! Ils ont réussi à trouver cette force de conviction. Ils se sont découverts un pouvoir qu'ils n'imaginaient pas. Ils me disaient : « Monique, c'est incroyable, on se présentait devant des maires d'une commune, devant des ministères, et on n'avait pas peur. Alors que normalement ce sont des gens qu'on n'ose pas regarder droit dans les yeux, là, non seulement il fallait les regarder droit dans les yeux, mais aussi faire en sorte que ce qu'on veut, on l'obtienne ! » Au début, j'avais de l'argent et je leur envoyais ce que j'avais pour qu'ils louent une caméra. Est arrivé un moment où je ne savais plus les aider et ils ont dû se débrouiller auprès de leurs connaissances pour en emprunter, tantôt une Dvcam, tantôt une HD. Ce film, qui s'est fait au petit bonheur la chance, a été programmé sur la RTBF et a été sélectionné au FESPACO, notre Cannes africain ! J'espère que ce n'est qu'un début de carrière !

 

C. : Au Congo, il y a 52 chaînes de télévision dont 7 chaînes généralistes ? Y a-t-il des productions locales diffusées sur ces chaînes congolaises ?
M.M.P : De ce que j'ai vu, les chaînes de télévision sont majoritairement fournies de films de fiction de production nigériane. Il faut savoir que le Nigeria est devenu le plus grand pays producteur de films au monde ; Nollywood a détrôné Bollywood ! Ce sont des films faits avec très peu de moyens; tournés en une semaine, montés aussi en une semaine, et amortis en un mois ! Même si la qualité n'est pas le premier vecteur de ces productions, elles ont fini par s'exporter dans toute l'Afrique. Par ailleurs, il y a ce qu'on appelle le «théâtre de chez nous », du théâtre filmé, des pièces de boulevard, et des magazines de plateau.
Il y a aussi les programmes diffusés par Canal France International, des programmes français destinés aux pays africains francophones. Il est évident qu'il y a un travail à faire pour le documentaire. Un film comme celui qu'on a fait sur cette équipe mythique va être un bon moyen de démontrer qu'il est possible de faire une production qui intéresse le public. Je peux vous assurer que je dois tout mettre en œuvre pour ne pas être piratée et ne pas me faire cambrioler ! Je n'ai jamais vu un tel engouement pour un de mes films ! 

 

C. : Les jeunes avec lesquels vous avez travaillé étaient désireux de faire du cinéma, mais il n'y a pas d'écoles de cinéma au Congo.
M.M.P : Cette expérience a convaincu l'Institut National des Arts de développer une section cinéma. D'autres projets prennent forme, par exemple, l'initiative lancée par Djo Munga, réalisateur diplômé de l'INSAS, qui a obtenu le soutien de l'INSAS pour lancer une formation pilote depuis une dizaine de mois. Des ateliers de formations aux postes techniques sont organisés en vue de former les techniciens qui vont travailler sur le long métrage que Djo Munga va tourner au Congo. Au Bénin, j'ai organisé trois éditions d'un festival de documentaires, qui a continué après mon départ. J'ai aussi organisé des ateliers de formations au documentaire et cherché des financements pour inviter des réalisateurs qui parlent aux jeunes et leur donnent envie d'oser en faire. L'expérience de Entre la coupe et l'élection était particulièrement casse-gueule. Je ne pourrais plus me lancer dans ce genre d'aventure. Financièrement, j'en subis encore les conséquences. Mais je suis heureuse de l'avoir fait ! J'ai voulu prouver qu'il est tout à fait possible de faire un film lorsqu'on le veut, même au Congo, et que cette culture du documentaire a beaucoup à nous apporter au point de vue de la formation individuelle pour le réalisateur et pour la mémoire collective d'un pays !

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