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Muse de Jaume Balaguero

Publié le 25/04/2018 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Blague Sabbat

Nous étions sans nouvelles de Jaume Balaguero, qui a pratiquement posé à lui seul les bases de l’horreur hispanique, depuis le naufrage artistique de REC 4 : Apocalypse, qui concluait la saga culte sur un pétard mouillé. Le voici qui revient, quatre ans plus tard, avec cette coproduction (tax-shelter oblige) entre l’Espagne, l’Irlande, la France et la Belgique (le tournage eut lieu notamment à Spa et Verviers) et dont la distribution en catimini l’année dernière (3 salles sur tout le territoire français) n’augurait de rien de bon. Si le cinéaste, une fois de plus en petite forme, ne retrouve jamais les sommets des pépites de sa filmographie (La Secte sans Nom, Fragile, REC, Malveillance) et signe une œuvre mineure, ce n’est pas tant la faute à sa mise en scène, toujours puissante et inspirée, qu’à un récit brouillon, adaptation laborieuse d’un roman de José Carlos Somoza, évoquant certains films de Dario Argento (on pense hélas davantage à Mother of Tears qu’à Suspiria) et l’univers de Hellraiser. On remplace les Cénobites par des sorcières, le cube ouvrant les portes de l’Enfer par un œuf et le tour est joué ! Clive Barker se retournerait dans sa tombe s’il n’était encore bien vivant...

En Irlande, Samuel Salomon (Elliot Cowan), professeur de littérature en pause carrière, est sous le choc du suicide de sa fiancée, retrouvée morte dans sa baignoire alors qu’il se trouvait dans la pièce à côté. Depuis le drame, Samuel fait un cauchemar dans lequel une inconnue est égorgée selon un étrange rituel païen. Quand la femme de son rêve, bien réelle, est retrouvée morte dans son manoir dans les mêmes circonstances, Samuel se rend sur la scène du crime pour y voir plus clair. Il y rencontre Rachel (Ana Ularu), une jeune prostituée qui fait chaque nuit le même rêve que lui. Ensemble ils vont se retrouver confrontés aux sept Muses démoniaques, sorcières ancestrales utilisant les pouvoirs insoupçonnés de la poésie pour mettre le monde à leurs pieds avec leurs incantations mortelles.

Lardé de digressions inutiles qui sentent le remontage abusif, Muse est une œuvre confuse qui ne sait jamais sur quel pied danser ni quel ton choisir. Adaptant trop servilement le roman, Balaguero fait l’erreur de se concentrer sur l’enquête et sur des rôles secondaires inutiles (notamment un pimp violent à la De Niro qui semble sorti d’un tout autre film), oubliant d’exploiter son thème principal prometteur, à savoir : l’impact de la rime poétique sur l’esprit, l’envoûtement des victimes poussées au suicide par la simple force des mots. Une belle idée sur le papier, qui confère au film sa meilleure scène : le sort cruel réservé au personnage interprété par Franka Potente, collègue et amie du héros poussée à s’auto-dévorer par une voix à laquelle elle ne peut résister. Les muses (menées par la toujours troublante Joanne Whalley) n’apparaissant que très tard, leurs personnalités ne sont pas développées au-delà de très courts flashbacks aux images fascinantes mais ne dépassant pas les quelques secondes. Voilà sans doute le film qu’il aurait fallu faire… Pour mettre un peu d’ordre dans ce scénario-gruyère, Balaguero sollicite Christopher Lloyd, guest-star de prestige qui apparait littéralement (dans le rôle d’un vieux scientifique à la langue bien pendue) pour nous expliquer le film à mi-parcours, des fois que nous serions perdus.

Ne sachant comment retranscrire à l’écran l’approche poétique de son scénario, Balguero se repose sur son conséquent savoir-faire et sur les figures habituelles de son œuvre, proposant une sorte de compilation pas déplaisante mais un peu vaine. Sciences occultes, phénomènes paranormaux, rêves prémonitoires, groupuscules malsains, manoirs lugubres, un héros au bout du rouleau, un zeste de gore, un doigt d’érotisme… de vieilles recettes qui « font le job » à défaut d’accoucher d’un résultat inspiré. « Must be the Season of the Witch » chantait autrefois Donovan. La muse qui inspirait Jaume Balaguero, elle, semble avoir filé à l’anglaise !

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