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Oulaya Amamra et Deborah Lukumuena, Toutes pour une

Publié le 17/01/2025 par Katia Bayer et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Oulaya Amamra et Deborah Lukumuena. De Divines aux Mousquetaires 

Découvertes dans Divines, le film de Houda Benyamina, récompensé de la Caméra d’or en 2016, les comédiennes Oulaya Amamra et Déborah Lukumuena, toutes deux Césarisées pour le film, ont poursuivi leurs carrières en solo (Fragile, Animale pour la première, Robuste, Entre les vagues, pour la deuxième) avant de se retrouver sur le nouveau film de Houda Benyamina, Toutes pour une, une version actualisée et féministe des Quatre Mousquetaires de Alexandre Dumas. Venues présenter le film au festival d’Arras en novembre, elles évoquent leur formation au Conservatoire, leur intérêt pour les femmes cinéastes, leur métier d’actrice et leur quête d’identification.

Cinergie : Vous êtes liées depuis Divines. Pour Toutes pour une, vous partagez l’affiche avec Daphné Patakia et Sabrina Ouazani. Comment s’est passé le travail avec elles ? Les connaissiez-vous ?

Oulaya Amamra : Non, on ne se connaissait pas. On se connaissait en tant qu'actrices, mais pas personnellement. En fait, la préparation du film nous a permis d'être directement dans le bain et dans l'esprit du film, c'est-à-dire la sororité et l’amitié. On était ensemble en huis clos pendant six jours sur sept, voire des semaines entières. On faisait de l'équitation, de l'escrime, des cours de voix. On a partagé tellement de moments ensemble que ça a accéléré notre relation dans le film qui finalement est presque vraie parce qu'on a passé beaucoup de temps et qu’on s'est éprouvé pendant quasi un an et demi.

 

C. : Dans Divines, on se souvient de la petite phrase : « T'as du clito ! ». 8 ans plus tard, l’un des personnages de Toutes pour une dit : « Avec une bite, on a moins peur ». Est-ce que l'idée, c'était vraiment de vous préparer au maximum pour être au plus près de cette phrase ?

Deborah Lukumuena : Oui, il y a eu un an et demi de prépa parce qu'on avait à apprivoiser des hommes, ce qui était tellement loin de nous. Non seulement, on devait être crédibles avec des figures d'hommes, mais en plus des hommes du 17e siècle, avec aussi une vocation à ce que ce soit universel, pour que ça puisse atteindre les oreilles du 21e siècle. Comme Oulaya l’a si bien dit, il y a eu un travail autour des corps qui a été monstrueux. Nos énergies, notre manière de nous tenir, ce n’était pas ça au début.

 

C. : C’est-à-dire ?

D.L. : Les Mousquetaires, c'était un peu des loubards à l’époque, presque des mi-voyous. Ils inspiraient de la peur et de la crainte chez les gens. C'est quelque chose qu'on devait incarner très vite. Il y avait ce challenge de crédibilité qui était crucial sinon, le film n'allait pas fonctionner. Nous, au début, nous n'étions pas crédibles en Mousquetaires. Il y a eu tout un travail au niveau de la force, du combat, de la manière de tenir une épée. C’est leur quotidien et on devait faire en sorte que ce soit le nôtre dorénavant.

 

C. : Est-ce que le livre d’Alexandre Dumas a pu vous accompagner dans votre enfance ?

O.A. : Je l’ai lu au collège, je crois. Ce serait mentir de dire qu’il m’a accompagnée dans ma vie adulte. Je n’ai même jamais pensé incarner des personnages de ce roman-là ou qui fait partie du patrimoine. Je n'arrive même pas à m'identifier à des personnages dans des westerns féminins où je me dis que j'aurais ma place. À part Houda qui casse les portes et qui a envie d’en découdre, il n'y avait pas trop la possibilité à s’imaginer dans ce genre de film.

 

C. : Casser les portes, c'est quelque chose qui peut vous animer quand vous dites oui à un réalisateur ou à une réalisatrice ?

D.L. : Oui. Quand vous voyez une vision comme ça qui promet justement de retourner les estomacs de tout le monde, de casser les codes encore un peu rigides du cinéma français, bien évidemment que vous avez envie d'y aller et d'accompagner cette vision qui, très souvent, au début est empêchée par des financements qui ne sont pas attribués, par des financiers qui ne veulent pas se lancer, parce que c'est nouveau, parce que ça fait peur, parce qu'on ne sait pas si ça va fonctionner sur le marché. En fait, vous avez envie de faire partie de la fronde (rires) ! Vous avez envie de faire partie de la résistance et d'y croire dès le début parce que les gens, en tout cas, les Français ont besoin de voir ce film-là. Même si je n’avais pas joué dans Toutes pour une, j'aurais été très heureuse que le film existe. Oulaya parlait justement de se reconnaître dans des films et de représentation. Ça compte.

 

C. : En même temps, depuis un moment, les choses changent. Plus de réalisatrices ont accès au long métrage, même dans le cinéma français, il y a plus d’histoires différentes, de vraies prises de risques…

D.L. : Oui, j’ai vu récemment The Substance de Coralie Fargeat. Je suis tellement heureuse pour elle, de l'accueil du film, de son audace. Coralie, Houda, ce sont des réalisatrices, pour moi, qui vont faire bouger encore plus les choses. Il y a bien évidemment des initiatives, aussi crues, comme The Substance ou Toutes pour une, il y en a même énormément, mais comme je le disais, quelquefois, c'est tué dans l'œuf parce que les financements ne suivent pas, parce qu'on n'a jamais vu ça, parce que le scénario ne va pas passer. Alors oui, bien évidemment, il y a de l’audace, mais jusqu'à quel point parvient-elle à nos yeux, à nos oreilles ?

 

C. : Déborah, vous avez écrit et réalisé un court-métrage, Championne. L’audace, la prise de risques dont vous parlez, est-ce que ça peut vous inspirer pour continuer à écrire des films ?

D.L. : Oui, totalement. Si le cinéma n’essaye pas de faire sauter nos barrières pour ne pas déranger les esprits qui peuvent parfois être un petit peu étriqués, je ne vois pas l’intérêt d’en faire. C'est horrible, ce qui se passe dans le monde en ce moment. Face aux chaînes de télévision, on est comme des oies gavées à Noël. Si le cinéma n'est pas justement là pour casser ça, pour réouvrir et élargir à nouveau les esprits, on est mort. Bien évidemment, c'est une ambition, c’est une faim que j'ai dès l'écriture et qui m'encourage encore plus à écrire. Moi, je ne suis pas scénariste, mais j’écris et ce n'est pas une partie de plaisir d'écrire. C'est difficile, c'est douloureux donc pour avoir envie d'écrire, c'est qu'il y a une faim incroyable derrière.

 

C. : Qu’en pensez-vous, Oulaya ?

O.A : Je bois ses paroles ! Elle a raison.

D.L. : On est sur une bonne voie en France. Je regardais récemment une interview de Nathalie Portman qui expliquait qu’une des raisons pour lesquelles elle se plaît en France, c’est qu’elle voyait la différence flagrante entre les réalisatrices françaises, qui ont beaucoup plus accès à la réalisation, que les réalisatrices américaines. Il y a de quoi être fier, c’est plaisant de voir ça ! On le voit dans les films qui sortent qu'il y a beaucoup plus de réalisations féminines qu'aux États-Unis, on est sur la bonne voie, mais on n'a pas fini.

 

C. : Oulaya, avant Divines, vous avez joué dans plusieurs courts avec l’association 1000 Visages : Belle Gueule d'Emma Benestan et Le commencement de Guillaume Tordjman. Qu’est-ce que vous avez appris à travers ces projets ?

O.A : Avant Divines, j'avais 14-15 ans. Je pense que j'étais trop jeune pour me rendre compte de quoi que ce soit. Par contre, je sentais que c'était là que j'ai envie d'être et que j'étais passionnée. Je regardais des pièces de théâtre et je voulais en faire. Et du coup, en faisant des courts-métrages, d’un coup, je me suis rendu compte qu’ils étaient montrés, qu’il y avait un public. Je ne pensais même pas que c'était possible que ce soit un métier.

 

C. : Vous pensiez que c'était quoi ? Une sorte de passe-temps ?

O.A : Je faisais de la natation et de la danse classique. Pour moi, le cinéma, c'était une activité extrascolaire. Je ne pensais même pas que ça pouvait être un métier pour moi. J'avais envie de devenir médecin, d’être pédiatre. Et le cinéma, ce n'était pas dans un coin de ma tête.

 

C. : Et vous, Déborah, que vouliez-vous faire ?

D. L. : Moi, je voulais être prof de littérature jusqu'à mes 19-20 ans. J'étais à la fac, à Paris 4, à la Sorbonne. La lecture, ça a toujours été présent dans ma vie. Je lisais depuis que j’étais petite, je lisais sous la couverture, je passais mes après-midi à la bibliothèque, j'étais un vrai rat de bibliothèque. Le cinéma, c'est vraiment un sanglier qui est venu au milieu de ma route et qui m'a dit : « Non, ma belle, ce n'est pas là que tu vas, c'est ailleurs ». Maintenant, j'ai un autre rapport à la lecture qui se conjugue bien avec le métier que je fais. Je suis contente d'avoir eu cette redirection qui n'est pas si éloignée, finalement. En tout cas, ce qu'il y avait de commun, c'est que je voulais être dans la transmission, je voulais transmettre les lettres, il y avait déjà un amour des textes. Et maintenant, on aide à transmettre des histoires entre le réel et le public.

 

C. : Vous avez été très exposées à l’époque de Divines avec les avant-premières, les César, la promotion. Comment, avec toute cette visibilité, avez-vous réussi à rester vous-mêmes ?

D.L. : Franchement, je trouve qu'en fait, on n'a jamais abandonné nos naturels. Et comme il y avait cet esprit de bande, un peu de troupe, ça a aidé justement. La contrainte, je ne la vois pas trop. Il y a des gens à l’usine. Nous, on est quand même là pour parler d'un film qu'on a fait avec passion, avec amour. Parler d'un film où on voit votre tête pendant 1h45, il y a plus pénible. Je pense qu'il y a le fait qu'on est resté nous-mêmes et qu’on a grandi dans l'authenticité. Tout ce qu'on fait, on le fait dans la vérité et dans l’authenticité. J'ai presque envie de te dire qu'on ne peut pas faire autrement. À l'époque de Divines, les gens nous ont dit qu’on n’avait pas pris la grosse tête. On est allé à l’école parce qu’après le film, on a fait le Conservatoire. C'est parce qu’il y a eu l'éducation de nos parents qu’on a été éduquées par des femmes hyper fortes qui, justement, nous tenaient dans cette vérité-là et même à nos 19-20 ans, on a continué dans ce sillon parce qu'on a été introduites au cinéma par une femme [Houda Benyamina] qui ne jure que par sa vérité et par la vérité. L’exercice promotionnel, en fait, ça va de soi. Ça va de soi de raconter cette histoire [Toutes pour une], de raconter ces personnages, de donner envie aux gens de venir voir ce qui a été pendant un moment notre vérité.

O.A : Ce qu’elle a dit, ce qui compte, c’est l’endroit d’où on vient. Je ne sais pas expliquer ça. On a fait l’école, on est allé au Conservatoire, on a fait des pièces de théâtre…

 

C. : Qu'est-ce que le Conservatoire vous a appris ?

D.L. : Moi, je suis allée chercher toute la technique que je n'avais pas parce que j'ai fait Divines sans cours de théâtre. Je suis allée chercher tout le répertoire et toute la technique dont j'avais besoin. J’ai découvert Tchekhov là-bas, j'ai découvert comment prononcer des alexandrins. Ça a l'air banal, mais j'avais besoin d'une base et peut-être que je suis allée aussi chercher une légitimité envers moi-même, finalement. En fait, je suis allée chercher une solidité et peut-être une accroche au réalisme parce que c'était au moment où il y avait les César, ça pouvait être dangereux, même pour des gens comme nous. Et en fait non, ça s’est passé différemment. En plus, l'école, c'est un endroit d’humilité, surtout la scène de théâtre. Vous voyez rapidement ce qui ne va pas, les points faibles, il y a ton endurance, il n'y a pas de montage, il n'y a pas de cut.

O.A : Moi, le Conservatoire, j’adorais ça. Mon premier amour, c'est le théâtre. J'ai commencé quand j'avais 12 ans à être sur scène, à éprouver le texte. On avait une troupe avec Houda, justement, qui s'appelait la Troupe des Revisiteurs. On allait tous les ans à Avignon, on jouait dehors, dans le off du off, puisqu'on jouait dans la rue. On revisitait tous les classiques, notamment Molière, on a appris Le Malade imaginaire, on a fait Shakespeare avec Le Songe d’une nuit d’été. Au Conservatoire, ce que je retiens comme expérience, c’est le cours de clown, avec Yvo Mentens, qui m'a appris à m’accepter, à savoir qui j’étais, à toucher un peu aux mêmes questions qu’Houda, dans sa manière de travailler, en tout cas. Qui on est, c'est quelque chose qu'on se demandera toute notre vie. Et le clown, ça aide un peu à extérioriser ces choses-là. En tout cas, j’y ai découvert quelque chose que je ne connaissais pas du tout et qui a été ma grande révélation.

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