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Pas de vagues, de Teddy Lussi-Modeste

Publié le 01/04/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le bruit qui court 

Julien Keller (François Civil) enseigne la littérature à une classe de troisième dans un collège de banlieue. Confronté à des élèves turbulents, il essaie de créer du lien en prenant sous son aile quelques-uns d’entre eux, notamment la timide Leslie (Toscane Duquesne). Mais ce traitement de faveur est mal perçu par Océane (Mallory Wannecque), une ado insolente qui prête à leur professeur d'autres intentions et met la pression sur ses camarades pour qu’ils propagent des mensonges. Sous l’influence d’Océane, Leslie, qui craint les hommes (elle est sous l’emprise d’un frère violent), confère à des remarques innocentes de Julien des connotations sexuelles et rédige une lettre d’accusation. Julien est ainsi accusé de harcèlement sexuel et se retrouve pris dans une spirale infernale. La rumeur se propage comme des flammes et les autorités du collège ont pour mot d'ordre : pas de vagues !...

Pas de vagues, de Teddy Lussi-Modeste

Inspiré de la propre histoire du réalisateur, le scénario, co-écrit avec Audrey Diwan, démonte les rouages impitoyables d’un piège qui se referme lentement sur un homme maladroit, mais bienveillant, dont la seule erreur a été de faire preuve de favoritisme. Avec sa structure classique - l’innocent accusé à tort se retrouvant petit à petit abandonné par tous (sa hiérarchie, ses collègues, ses amis, sans parler de la justice, complètement impuissante à le protéger) -, Pas de Vagues ( 2024) montre la force dévastatrice de la calomnie, comme l’avaient fait, dans des genres différents, The Hunt, de Thomas Vinterberg, et le récent Dream Scenario, de Kristoffer Borgli. La foule en colère (le frère de Leslie qui menace Julien de mort, les parents d’élèves) qui croit aveuglément tout ce qu’on lui raconte, sans preuve, est une métaphore subtile des dérives malheureuses d’une époque où le tribunal n’est désormais plus judiciaire, mais populaire, où une réputation - et donc une vie entière - peuvent être détruites en quelques clics. 

Si François Civil s’avère juste et attachant dans les scènes qui montrent son désarroi devant sa vie qui s’écroule, Julien a également une dimension héroïque : révéler son homosexualité lui permettrait de prouver son innocence, mais il refuse catégoriquement d’instrumentaliser sa vie privée et celle de son compagnon pour sauver sa peau. La force du film est de nous proposer des personnages complexes des deux côtés du conflit, sans le moindre manichéisme. 

Au-delà de ces beaux personnages tragiques, le film de Teddy Lussi-Modeste s’avère passionnant lorsqu’il aborde, en filigrane, certains thèmes très actuels. Ainsi, si l’on s’amuserait presque de la lâcheté des collègues opportunistes de Julien, qui, après avoir initialement soutenu leur collègue par pur esprit de corporatisme, se dégonflent dès que le vent tourne, on ne s’amusera pas, par contre, du constat effroyable que le réalisateur fait d’une génération d’élèves qui pratiquent le chantage et le « shaming » en diffusant des vidéos volées ni du portrait inquiétant que le film fait du système scolaire français, où la discipline n’est plus appliquée et où l’enfant, devenu roi, mais abruti dès le plus jeune âge par les réseaux sociaux et ne maîtrisant plus les règles élémentaires du français, se permet à peu près tout, imposant sa loi aux enseignants impuissants dans une impunité devenue réellement problématique : smartphones allumés en classe, insultes qui fusent en permanence… 

Davantage qu’un drame sur l’injustice vécue par un innocent, Pas de Vagues est le portrait, tant français qu’universel, d’une société en pleine déroute, où la transmission semble désormais impossible. 

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