Plaidoyer pour l'avenir du cinéma d'auteur de Michel Reilhac avec Frédéric Sojcher
Plaidoyer pour l'avenir du cinéma d'auteur
Deux mousquetaires du cinéma d'auteur : l'un, Athos/Reilhac, est producteur, directeur du Forum des images et dirige désormais Arte-France-cinéma, l'autre, Aramis/Sojcher, le réalisateur de Cinéastes à tout prix, est responsable du Master professionnel en scénario, réalisation et production à Paris 1 (Sorbonne Panthéon). Le café Beaubourg est leur Palais Royal. Pour les spectateurs et cinéphiles, ils dégainent leurs épées – pas toujours à fleuret moucheté – et, on est ravi. Ils retrouvent un cinéma vivant, tel qu'on l'aime, « comme facteur d'ouverture au monde », celui qui a simplement changé de statut, comme l'écrivait Serge Daney, pour devenir « la caisse de résonance symbolique du reste des images ». Car, enfin, cher cinéma, « nous nous racontons des histoires afin de vivre » (comme l'écrit Joan Didion dans son beau livre, Les Chroniques d'Amérique).
La toile est blanche, l'air est sec, la croyance se mue en rêve. Le présent sourit dans le souffle des projections pour tous ceux qui viennent d'un ailleurs pour s'imprégner du monde et du temps qui passe. Les toiles des salles de cinéma, on s'y accrochait le regard cinq fois par semaine, actuellement, on continue à y aller une fois par semaine entre 3 ou 4 DVD. La foi dans cet espace-temps reste intacte. Des détails ? Les voici, les voilà.
Nous plongeons dans la suite des passionnants entretiens de Michel Reilhac avec Frédéric Sojcher parus aux éditions Séguier Archimbaud, (Collection carré Ciné)... quatre ans après, qui ressemblent à Vingt ans après. Le côté Prozac de la Mazarin/télé si narcotique entre quelques spots publicitaires au style nerveux pour réveiller un consommateur est devenu une telle évidence qu'ils cessent de nous le raconter. Mieux encore, on arrête de lire les blablas post-modernes sur la fin d'un cinéma moribond qui serait balayé par le média télévisuel.
Les deux mousquetaires du cinéma vont avoir six entretiens (de mai à décembre 2008), dans lesquels ils nous parler d'un cinéma d'auteur incompatible avec le flux télévisuel. D'où le titre évident : Plaidoyer pour l'avenir du cinéma d'auteur. Celui-ci subsiste, en effet, envers et contre tout, (et même se développe (l'Asie plus l'Europe ?) pour plusieurs raisons, l'innovation du numérique, les films sur Internet, les DVD à un bal en Chine et au Vietnam, le téléphone mobile (Jaco Van Dormael nous confiait qu'une partie de Mister Nobody avait failli être réalisé avec un mobile), bref, au final, une innovation économique qui fait la nique au système industriel des produits formatés destinés à la consommation.
Pourquoi le cinéma asiatique est-il plus capable - pas seulement de saisir le flux du temps dans des plans-séquences ou vifs de Hou Hsiao-Hsien à Wong Kar-wai - que le cinéma européen de susciter le désir de découvrir un univers, de concurrencer la culture du papier cellophane, du formatage étasunien/européen ? À cette question posée par Aramis/Sojcher, Jean-Michel Frodon, dans La projection nationale, avait répondu ceci « les grandes cinématographies sont issues de pays qui ont des choses à dire au monde ».
Athos/Reilhac, lui, part de l'exemple du phénomène Apichatpong Weeraesethakul, cinéaste thaïlandais (Brisfully Yours, Tropical Malady) marginalisé dans son pays et ayant découvert, avec une parfaite osmose, les cinéastes d'auteur français, américains, allemands, anglais, au Forum des images, sans avoir besoin de plus de trente secondes d'adaptation, dans un pays dont il ne parlait pas la langue. « C'est un cinéma qui se contamine lui-même, autour de films d'auteur très récents et réalisés souvent par de jeunes cinéastes. Cette prise de conscience du fait que nous sommes très proches de gens très loin de nous et dont nous partageons, sans le savoir, la même langue, est un phénomène assez contemporain ». Et Athos/Reilhac de poursuivre en rappelant que le cinéma d'auteur n'a jamais été aussi foisonnant, qu'il n'a jamais découvert autant de jeunes réalisateurs, même s'il est marginalisé sur le marché.
Sa disparition ne lui paraît pas prête de survenir, ne fut-ce que parce que dans une stratégie des enjeux économiques cohérente, elle est inopportune : « la recherche d'un public plus large passe obligatoirement par un investissement dans l'innovation. Quitte à ce que ce soit sous une forme de laboratoire au départ, comme une sorte de pépinière ». L'innovation, donc, et Athos/Reilhac de sortir le coup d'épée qui tue : « C'est une question de stratégie. Mais aussi une question de bon sens marketing, de renouvellement ».
Sur les films commerciaux, sans prise de risque par rapport à un cinéma d'auteur innovant, Athos/Reilhac rappelle l'exception française qui explique, sans doute, pourquoi la création cinématographique ne s'est pas écroulée dans le pays de Richelieu contrairement au Royaume-Uni ou à l'Italie. L'équilibrage entre l'industrie et l'artisanat, avec la création du CNC suivi, en 1959, sous Malraux, de l'avance sur recettes, n'y est pas pour rien. « On a encore ce principe de faire bénéficier ce laboratoire qu'est le cinéma d'auteur de l'argent gagné par l'industrie ».
La possible expansion européenne d'Arte (chaîne franco-allemande rappelons-le) est abordée. Un réseau de télévision culturelle se dessine, petit à petit, à différents stades, avec la Belgique, l'Espagne et l'Italie et au-delà de l'Europe avec le Canada, Le Liban ou Israël. Il s'agit de créer des accords de chaînes pour des programmes communs. La complexité des langues (une chaîne trilingue ?), mais aussi des stratégies nationales qui n'arrangent pas les choses. Rappelons, pour le coup, qu'Eurimages n'existe que grâce à un tour de passe-passe digne du père Joseph (l'âme damnée de Richelieu) : elle fut votée au Conseil de l'Europe contre une Union européenne qui en refusait la création.
Arte France Cinéma n'est d'ailleurs pas qu'européen, « on travaille aussi avec l'Asie, l'Amérique du sud, l'Afrique, on est déjà dans une démarche très globale dans nos montages de co-productions ».
Aramis/Sojcher interroge Athos/Reilhac sur les passerelles entre fictions et documentaires. Il vide son verre de rosé : « est-ce dû au succès de la télé réalité », hum, hum, constatons plus simplement qu'il y a une montée du réel chez le téléspectateur. Ce qui aboutit, comme la critique le constate, soit à un trouble (minimum), soit une remise en cause (maximum) des frontières entre fiction et documentaire. Comme si les propos de Jean-Luc Godard ne comprenant pas ce qui les séparait l'un de l'autre, il y a quarante ans déjà, étaient devenus une évidence, voire une platitude. « Ainsi Entre les murs (Palme d'Or 2008) est entièrement recréé, c'est une fiction, mais le film emprunte les codes du réel, pour mieux en troubler les frontières ». Au point que « beaucoup de personnes ayant vu le film pensent que c'est un documentaire ».
Michel Reilhac en est convaincu, les films disposant du relief en 3D sont la réponse du berger à la bergère des studios américains pour contrer le piratage et relancer les salles (« Dans cinq ans, tous les films hollywoodiens seront conçus pour la 3D » dixit Jeffrey Katzenberg). Rappelons que depuis peu, les projecteurs en 2K sont devenus aussi performants que les incontournables projecteurs 4K, ce qui signifie, pour la distribution, un gain par rapports au coût des centaines de copies en pellicule dont elle avait besoin pour remplir des dizaines de salles et donc la possibilité de projection de films réalisés avec de petits moyens.
D'où le débat, certes intéressant, mais un peu nostalgique, sur un « âge d'or » supposé du cinéma par le club des 13 qui ne semble pas constater que le cinéma évolue. Plutôt que de rêver au mainstream d'antan, les deux mousquetaires Reilhac/Sojcher s'intéressent davantage à l'évolution du cinéma.
Car ce que nous offre le numérique et ce qu'ont parfaitement compris certains réalisateurs, soit en utilisant la HD-Cam dans leurs derniers films (F.F.Coppola, James Gray, David Lynch, Michaël Mann David Fincher et Jia Zhang-Ke), soit en utilisant les petites caméras digitales que sont les DV-Cam (Abbas Kiarostami, Pedro Costa, Eric Khoo ou Wang Bing), c’est de pouvoir explorer un nouvel espace-temps, un nouveau monde en continuant, plus que jamais, à faire des films de cinéma.
Par contre, la VOD ne nous paraît pas prête à éliminer le DVD. Est-on disposé à payer pour voir un film disparaître 4 heures après ? Les DVD, comme les livres et les disques, participent à la richesse culturelle des familles et des individus. Pourquoi les bibliothèques et les cinémathèques qui leur ressemblent ont-elle un tel succès, dans les appartements ? Elles permettent de relire un bouquin, de revoir un film en disposant de la temporalité du temps, de restituer le passé (1er découverte) au présent (redécouverte). C'est une chose que le département vidéo d'Arte a parfaitement comprise en nous offrant un DVD plus un livret où cinéastes et collaborateurs parlent du film (les éditions Carlotta - en y ajoutant de nouveaux masters restaurés - vient d'adopter le même principe, ce qui remplace pas mal de bonus visuels d'une stupidité rare que le cinéma commercial offre, en espérant, on imagine, nous faire rire).
Puis, il y a la fièvre du « global media » (synergie entre télévision, Internet et le cinéma). « S'adapter, oui, mais sans tomber dans la finalité technologique », souffle, en quittant ses gants de cuir, Athos/Reilhac en s'emparant d'une petite DV-Cam. Terminons donc – provisoirement, Mordioux ! – sur la vitesse d'évolution du cinéma par ces propos cités dans l'ouvrage par Michael Goblins de Screen International :
« Ce qui se passe maintenant, c'est le début d'une période où nous devons faire face à l'idée que nous n'avons plus rien à quoi nous raccrocher et où nous commençons à peine à rechercher des débuts de solutions à mettre en place, ce qui rend ce moment particulier très perturbant et très excitant... »
Please, une bouteille de rosé, please, l'épée dans le fourreau, un verre de rosé d'Anjou, please.
Bien, bien, les excellents vins rosés d'Anjou du café Beaubourg/Palais Royal, ont permis de sortir un livre aussi riche qu'un roman d'Alexandre Dumas. On ne vous a présenté que les deux premiers chapitres, laissant à votre passion cinématographique le soin de découvrir, dans les quatre chapitres qui suivent, davantage de possibilités sur l'avenir qui se dessine.
Plaidoyer pour l'avenir du cinéma d'auteur de Michel Reilhac, entretiens avec Frédéric Sojcher, éditions Archimbaud/Klincksieck.