Cinergie.be

Rencontre avec Catherine Salée, l'actrice belge par excellence

Publié le 28/03/2019 par Dimitra Bouras et Tom Sohet / Catégorie: Entrevue

Catherine Salée, « Jouer, ça me repose de moi-même »

Catherine Salée, c'est l'actrice belge par excellence. Formée au Conservatoire de Liège, elle arpente aujourd'hui les scènes théâtrales, les plateaux de tournage et les salles de classe. Au cinéma, elle tourne, entre autres, avec Joachim Lafosse, les Frères Dardenne, Abdellatif Kechiche, Emmanuelle Bercot, Guillaume Senez, Costa Gavras et prochainement avec Delphine Noëls. Au théâtre, elle joue notamment pour Isabelle Pousseur, Philippe Sireuil, Laurence Vielle, Elisabeth Ancion et Guillemette Laurent. On la connaît aussi comme Brigitte Fischer dans la série télévisée La Trêve. Récompensée par de nombreux prix dont le Magritte du meilleur second rôle pour La vie d'Adèle, elle est aujourd'hui membre d'honneur du festival Format Court qui se tiendra à Paris du 3 au 7 avril prochain. Une comédienne qui choisit ses projets avec soin et qui transmet son savoir-faire, accumulé au fil de ses multiples expériences, à la jeune génération de réalisateurs et de comédiens.

Cinergie : Un jour, adolescente, vous avez décidé de devenir comédienne, êtes-vous toujours heureuse de ce choix ?
Catherine Salée : Je me le dis tous les jours même si c'est un métier difficile puisqu'on est dépendant du désir de l'autre, d'un réalisateur, d'un metteur en scène. J'ai fait le choix de ma passion donc je ne le regrette pas et j'ai de la chance d'avoir du travail même si cela reste incertain. Je ne pourrais pas faire autre chose. J'ai besoin de jouer, c'est vital pour moi. Ce qui est vraiment compliqué dans mon métier, c'est le manque de sécurité mais c'est aussi ce qui me plaît, que les choses changent tous les jours. Je peux jouer des personnes différentes chaque jour. Dans le fond, jouer, ça me repose de moi-même.

C. : Au cinéma, on vous voit souvent dans les courts-métrages de jeunes réalisateurs. C'est une manière de les soutenir ?
C.S. : Je ne dis pas oui à tous les réalisateurs, il y a beaucoup de projets que je refuse. J'adore jouer dans des courts métrages car il y a une espèce de liberté à participer à des projets un peu "roots", je reste éveillée et cela me permet de rencontrer les futurs réalisateurs. Cela me plaît aussi de travailler avec des réalisateurs plus connus, c'est juste différent. Je suis aussi professeur dans une école de cinéma donc je n'ai pas trop envie de jouer dans les films de mes étudiants. En fait, si un projet m'intéresse, je fonce, peu importe qui le réalise. Il m'est arrivé de refuser un projet à cause du scénario et le réalisateur m'a écrit une lettre magnifique où il m'expliquait pourquoi il voulait que ce soit moi qui joue et j'ai finalement accepté, plus pour le réalisateur. Je n'ai pas regretté car il y aussi beaucoup d'échanges, les choses bougent au fur et à mesure du projet. Je ne me positionne jamais en tant que détentrice du savoir. Le réalisateur connaît mieux son projet que moi, je mets juste mon savoir-faire à son service.

C. : Dans quelle école enseignez-vous ?
C.S. : Je donne cours de direction d'acteurs à l'INSAS à des réalisateurs de 3e année. D'habitude, je travaille avec des acteurs professionnels mais cette année, je vais pour la première fois travailler avec des premières années et je vais les faire jouer pour qu'ils se rendent compte de ce que ça fait d'être de l'autre côté de la caméra. Je leur apprends à savoir communiquer, à ne pas avoir peur de l'acteur. Il n'y a pas une façon de diriger un acteur, cela dépend de l'acteur, du metteur en scène, du projet. C'est plutôt une question de feeling. On apprend tout cela en faisant les choses. Ce qui est bon pour moi ne sera pas spécialement bon pour quelqu'un d'autre.

C. : C'est important d'apprendre à diriger les acteurs ?
C.S. : Oui, je pense d'ailleurs qu'il n'y a pas assez de temps consacré à la direction d'acteurs pour les futurs réalisateurs. Souvent, ils sont démunis sur leur premier plateau de tournage.

C. : Pensez-vous que les coachs pour acteurs seraient les bienvenus sur les plateaux ?
C.S. : Cela dépend du projet, du réalisateur. Le jeu de l'acteur se travaille pendant toute une vie. On est toujours en train d'apprendre quand on est acteur. Ce qui est formidable avec ce métier c'est qu'il n'y a pas une seule façon de fonctionner.

C. : Vous êtes également comédienne au théâtre. Si vous deviez faire un choix ?
C.S. : C'est compliqué. Le temps du théâtre n'est pas le même que celui du cinéma. Quand je fais le choix de m'engager dans une pièce de théâtre, ça me coince, parfois avec bonheur, parfois moins, pour un certain temps. Je ne suis donc plus disponible pour le cinéma. Au théâtre, le projet est mis en place deux ans à l'avance contrairement au cinéma où les choses vont beaucoup plus vite. Je me suis parfois retrouvée dans des spectacles de théâtre et devoir dire non à des films. Maintenant, je choisis vraiment les projets théâtraux dans lesquels je suis, même si je n'ai pas de travail, pour me laisser libre pour le cinéma. Cela reste des sauts dans le vide parce que je dois en vivre. Il n'y a jamais de sécurité.

C. : vous n'avez pas envie de vous lancer dans l'écriture ?
C.S.: Je ne sais pas si j'en suis capable. J'ai un lien avec l'écriture de plateau, je suis capable d'improviser. D'ailleurs, cela se répercute sur les cinéastes avec qui je travaille comme Guillaume Senez, Abdellatif Kechiche, Joachim Lafosse, Delphine Noëls qui laissent l'acteur improviser sur un canevas bien précis même si le scénario est tout à fait écrit. C'est un peu la même chose avec la mise en scène, je ne sais pas si j'en suis capable. Il m'a fallu du temps pour me lancer dans l'enseignement. Par contre, je n'ai aucun complexe avec la direction d'acteurs. Je donne des ateliers, des stages, je fais ça assez régulièrement notamment avec Guillaume Senez. J'aime bien être en doublon avec un réalisateur ou une réalisatrice. J'ai un rapport très instinctif au jeu et j'aime bien travailler avec un apport plus intellectuel.

C. : Pourquoi, à votre avis, les metteurs en scène ou les réalisateurs vous choisissent ?
C.S. : D'après les retours que j'ai, c'est qu'on a l'impression que je viens de la vraie vie, que j'ai une sincérité, une vérité particulière. Je ne sais pas vraiment, j'ai arrêté de me stresser avec les distributions. Je sais que je sais jouer même si je me remets en question très régulièrement et que le jeu évolue avec les années, plus vite au théâtre qu'au cinéma. Le choix de l'acteur dépend de beaucoup de choses : de la rencontre avec le ou la réalisatrice, d'une distribution totale, d'une production (est-ce qu'il faut un Belge ou non ?), cela dépend de beaucoup de choses.

C. : Vous travaillez souvent avec des réalisatrices ?
C.S. : J'ai travaillé davantage avec des metteuses en scène au théâtre mais au cinéma j'ai plus travaillé avec des hommes. C'est une réalité, il y a plus d'hommes que de femmes dans le milieu. Cette différence existe aussi au théâtre mais moins qu'au cinéma.

C. : Est-ce que c'est différent de travailler avec des hommes ou des femmes ?
C.S. : Cela dépend de la personne, du projet, pas du sexe. Mais être une femme te positionne dans la société donc tu as peut-être envie de raconter une histoire d'une certaine manière. On est influencé par ce qu'on est, que ce soit le sexe, le milieu dont on vient, notre vécu. J'ai la chance de travailler avec une amie metteuse en scène, Guillemette Laurent dont j'admire beaucoup le travail et avec qui j'ai fait La Musica deuxième. Sa manière d'envisager le travail est très collectif et elle n'a pas du tout le culte de la personnalité donc elle est au service du projet et travailler avec elle me donne une grande liberté artistique. J'ai aussi une entière confiance en elle et dans la manière dont elle envisage de mettre en scène et de raconter les histoires. J'aime travailler avec elle non pas parce que c'est une femme mais parce que j'apprécie sa manière d'envisager sa position d'artiste, sa position dans le monde et comment elle veut raconter les choses. Elle part toujours du petit, de l'air de rien, de la vie pour arriver à la grande théâtralité. On fait une lecture de ce texte avec Yoann Blanc, on lit les didascalies à un public. Petit à petit, on passe à l'incarnation et aux grandes émotions. C'est le pied pour un acteur. Au théâtre, c'est vraiment ce que je recherche, les différentes strates, les types de jeu et comment les choses se meuvent là-dedans.
Je fais du cinéma depuis moins longtemps, ce qui fait que je suis moins exigeante avec les réalisateurs et réalisatrices qu'avec les metteurs et metteuses en scène. Il y a quelque chose de plus jeune dans mon rapport avec le cinéma qui fait que j'accepte plus, je suis moins à l'endroit de la parole artistique. Mais, quand je regarde tous les projets que j'ai faits, je me rends compte qu'il y a quand même un choix malgré moi. Je suis dans des projets de cinéma d'auteur, on attire les gens de notre goût. Les rencontres et les choix qu'on fait influencent sur les désirs des futurs avec qui on va travailler vu qu'ils nous voient dans ces choses-là.

C. : Vous êtes membre d'honneur du premier festival Format Court à Paris.
C.S. : Je suis invitée avec d'autres acteurs pour la journée spéciale belge du 7 avril. J'aime beaucoup le court métrage pour garder cette liberté. C'est un format en soi, pas spécialement parce qu'on ne peut pas faire de long. J'aime faire des courts et des longs mais dans les courts, c'est moins lourd financièrement donc il y a moins de pression sur les réalisateurs. Je viens d'être marraine du Jour le plus court en Belgique. Je connais pas mal d'acteurs qui n'arrêtent pas de faire des courts métrages. Il y a beaucoup d'acteurs qui ont souvent des seconds rôles dans les longs et qui ont l'opportunité d'avoir le rôle principal dans un court. C'est intéressant de développer un personnage, de commencer une histoire et de pouvoir la terminer.
Dans la série La Trêve, c'était plaisant de voir l'évolution de mon personnage sur dix épisodes. C'était le pied de voir le personnage vivre, évoluer familialement, professionnellement, etc. C'est ça qui m'excite dans le film avec Delphine Noëls, d'avoir le temps de développer un personnage dans cette comédie qui parle de la femme, du couple, de la politique. Mais, il faudra encore attendre pour que le projet se mette en place.

Tout à propos de: