Ce film est original à la fois par la personnalité de sa réalisatrice et de la chorégraphe filmée. En fait, il s’agit d’une rencontre de deux tempéraments expérimentaux qui, rompant avec les mouvements convenus de la caméra et du corps, poussent un peu plus loin les limites de l’harmonie visuelle et gestuelle.
Répétitions de Marie André
On pourrait comparer le travail de cette réalisatrice et de cette chorégraphe à celui des peintres qui, depuis le milieu du XIXè siècle, fractionnent les paysages, les objets, les visages et qui trouvent dans ces morcèlements des intensités inédites. Pas à pas, la danse qu’explore Anne Teresa De Keesmaeker est aussi une lente et merveilleuse investigation de l’impossible, des cassures inattendues, surprenantes, mêmes choquantes, et des nouveaux rythmes générés par la combinaison de ces saccades.
Marie André filme les répétitions d’ « Elena’s Aria » d’Anne Teresa De Keersmaeker avec le même goût de l’interruption d’un plan qui nous semble arbitrairement coupé, mais qui stimule en réalité notre perception et notre attention. Le spectateur bondit (mais pas furieusement) d’image en image, et suit le fil des apparentes incohérences et de l’apparent désordre pour renouer bien vite avec une autre logique. Au lieu de nous perdre ou de nous décevoir, cette logique de l’impromptu nous ravit. Marie André et Anne Teresa De Keersmaeker nous étonnent par la vivacité et l’audace conjuguées de la danse des images et des images de la danse.
Eric de Moffarts, La Libre Belgique (1988)