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Resist with the living theatre de Dirk Szuszies

Publié le 01/12/2003 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Fuck the legend

 

Resist with the living theatre de Dirk Szuszies

 

Fondé en 1951 par Julian Beck et Judith Malina, le Living Theatre explose la scène théâtrale dans les années soixante. Pressentant qu'un autre monde serait possible, il s'attaqua à toutes les bornes de la société bourgeoise, pourfendant l'autorité, vilipendant l'armée, proposant une sexualité libre et débridée, inventant une poésie en révolte faite de corps et de cris, poussant le geste théâtral jusqu'à son extrême provocation, le happening total, avec ce projet formidable : être la vie même. Vague déferlante de passions créatives, sans cesse en état de rébellion, il prône une anarchie viscérale mais pacifiste, expérimentant collectivement d'autres façons de vivre ensemble, en les vivant plus qu'en les jouant dans un désordre iconoclaste et qui bien sûr entraîne interdictions, condamnations, emprisonnements. Malgré cela le Living Theatre continue sa route refusant de se soumettre. Fuyant la répression et le succès médiatique, il investit les rues, les prisons, les asiles et, un beau jour, au début des années quatre vingt, disparaît totalement de la scène théâtrale et ne fait plus parler de lui.

 

Pourtant son histoire loin de s'être arrêtée, continue autrement comme nous le montre Resist, le nouveau documentaire de Dirck Szuszies, ex-membre du Living dans les années quatre vingt. Dès les premières images, Dirk Szuszies fait le lien entre le passé déjanté du Living Theatre et son travail actuel fait de résistance et de volonté militantes. Parlant à la première personne, avec une amertume qui en dit long, il fait surgir derrière l'imaginaire utopique des années de rêve, le New York traumatisé par Ground Zero où, par une nuit glacée alors que le maire de la ville promet une lutte sans merci contre le terrorisme, apparaissent en une longue chaîne humaine les membres de l'actuel Living Theatre qui jouent leur vie en clamant haut et fort leur refus de la guerre et leur volonté de résister à la marche catastrophique d'une société à prétention planétaire. Resist est construit sur ce voyage permanent entre le passé mythique du groupe et ses actions d'aujourd'hui pour mieux nous faire comprendre ce qui a changé.

 

Avec beaucoup d'intelligence et de sensibilité, Dirk Szuszies retrace le parcours chaotique du Living, ses questions et ses contradictions, les années de déprime après la mort de Julian Beck et cette volonté incroyable de Judith Malina de ne jamais abdiquer. Et sans cesse il revient au présent pour mieux investir l'actuel Living de toute la charge de son passé, suivant son travail militant dans le New York pré guerre d'Irak, décrivant sa vie communautaire dans un petit village italien où il a trouvé un fragile havre de paix, revenant à sa vie nomade lors de ses interventions au G8 à Gènes ou ses stages activistes dans les prisons du Liban occupées par l'armée israélienne. Filmant avec empathie et vérité, Dirk Szuszies soutient le message de paix de l'actuel Living, joignant sa voix à celles des autres. Et si dans un premier temps il nous fait partager avec beaucoup d'émotion la vitalité combative de Judith Malina et de ses complices, à la longue leur militantisme pacifiste prend des allures de prosélytisme de gauche avec un effet de sclérose qui semble réduire leurs actions à de la conscientisation bien intentionnée.

 

Les temps ont changé, le Living aussi, quelque part il a vieilli et il y a quelque chose de terrible dans cet écart qui voit progressivement s'éteindre les utopies dont s'illuminait sa révolte des débuts au profit d'une résistance militante aux allures d'animation socioculturelle ayant perdu ses rêves fous. Plus qu'un hymne à la résistance pacifique et un appel à un autre monde, Resist nous touche dans sa saisie involontaire du tragique d'une quête au prise avec son histoire et ses propres limites quand le désir fulgurant d'utopie n'est plus de la fête. Et si Judith Malina par dérision crie encore « fuck the legend », il nous apparaît en final que Resist est plus un cri de résistance désespéré contre la vieillesse, la disparition et la mort, comme le chantait Lennon " the dream is over." 

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