Le mois dernier, Rik Chaubet était l’invité du cinéma Palace pour la masteclass du mois de septembre. Cinergie.be est allé à sa rencontre afin de comprendre sa passion du montage ainsi que les secrets qui font de Soundtrack to Coup d'État un film unique en son genre.
Rik Chaubet, monteur de 'Soundtrack to a Coup d'Etat'
C. : Quel fut votre rôle dans le projet Soundtrack to Coup d'État ?
Rik Chaubet : Je suis le monteur de Soundtrack to Coup d'État, un film basé sur des archives filmées du réalisateur Johan Grimonprez. Le style de Johan dans ses films précédents, c'est aussi qui m’a orienté dans la salle de montage, et particulièrement pour ce film. Avec Johan, nous avons construit le film dans son intégralité à partir de séquences déjà existantes. C’est un travail immense qui nous a pris quelques années.
C. : Comment sont nés cette passion commune et ce projet de film ?
R.C: J'ai étudié la réalisation à l'école Lucas, et j'ai découvert Dial History, que j'ai beaucoup aimé. J'ai ressenti une sorte de connexion artistique avec Johan et j’ai décidé de lui envoyer un message pour être son stagiaire. Le stage a duré un an et ensuite j’ai commencé à travailler sur Soundtrack to Coup d'État. C’était le début de la phase de développement. J’ai partagé mes connaissances de montage sur Adobe avec Johan et durant ces échanges nous avons eu une belle connexion. C’est comme ça que je suis devenu le monteur principal sur ce projet.
C. : En quoi Soundtrack to Coup d’Etat est-il un film novateur ? Comment avez-vous donné cet effet visuel si particulier ?
R.C: Je pense que ce qui rend ce film spécial, c'est la manière dont ce film est construit. Son aspect visuel n'aurait pu être réalisé il y a dix ans et cela lui confère un ton très contemporain, en lien avec l'évolution technologique des logiciels de montage et des ordinateurs. Nous avons transmis au film cette logique de l'hyperlien. Un peu à l’image de ce qu’on fait sur le web, on clique sur un onglet pour lire un article et ensuite sur un mot de l’article pour aller ailleurs. Cette structure connectée de manière rhizomatique s'est vraiment intégrée dans le film. J’espère que mon expérience de la navigation sur Internet a aidé à façonner ce projet et à lui conférer une forme de contemporanéité.
Une autre composante importante du film se retrouve dans le rythme de la musique. En montage, c’est important de garder une sorte de flux et de construire le film sur cette pulsation. J’ai passé mon temps à appuyer sur 'annuler' pour garder le rythme durant le montage. Le film est très centré sur sa musicalité.
C. : D’où vous provient cette oreille musicale ?
R.C: J'ai monté des clips vidéo pour beaucoup de jeunes groupes, des amis à moi avec qui j'ai grandi. J'ai vraiment monté beaucoup de clips vidéo. Récemment, j'ai fait un super clip pour un groupe vraiment sympa qui s'appelle Youff. J’ai adoré. Leur morceau s'appelle Forever Optimist. J'ai fait beaucoup de clips pour un groupe nommé Hypochristmutreefuzz, un groupe belge qui est vraiment génial. Ces clips ont été mes premiers pas dans le montage musical. Ce que j'ai découvert, c'est qu'un clip vidéo peut être très ennuyeux si vous le montez simplement sur le rythme. Il faut voir les coupes comme un dialogue avec la musique, et construire cette relation entre le son et l’image à travers ce va-et-vient.
C. : Que pensez-vous du contenu exploré dans le film Soundtrack to Coup d'État?
R.C. : Le contenu du film est très important et c’est essentiel que les bonnes personnes parlent du film et des questions qu’il aborde. Pour ma part, je vais m’en tenir à parler de mon domaine. Parlons de la forme. Je pense que la manière dont le film est conçu, avec cette logique d'internet, d'hyperlien et de connexions, a vraiment aidé à structurer le contenu du film. Ce film parle de relations entre tant de choses différentes et de la façon dont elles sont toutes connectées. Donc, je pense que la forme que nous avons utilisée pour raconter cela est vraiment, selon moi, la meilleure pour traiter ce système complexe où tout bouge et où il y a toutes ces perspectives différentes.
C’est comme l’allégorie de l’éléphant, vous connaissez ? C’est comme si beaucoup d'hommes aveugles touchaient une partie de l’éléphant, et l'un touche la trompe et pense que c’est un serpent, un autre touche la patte et pense que c’est un gros pilier, et ce n'est qu'en dialoguant sur leurs perspectives différentes de l'éléphant qu'ils découvrent la vue d'ensemble. Je considère que ce film fonctionne de la même manière, en utilisant beaucoup de perspectives différentes. Vous avez Jean-Paul Sartre, Frantz Fanon, André Blouin, Malcom X, Nikita Khrouchtchev, toutes ces perspectives qui parlent des événements en cours. En les montant ensemble, vous les placez en relation les unes avec les autres, et cette grande relation entre tous ces éléments complexes crée le film.
C. : Quel serait votre conseil pour des étudiants ou des jeunes qui hésitent à se lancer dans le montage ou la réalisation après cette première expérience ?
R.C: Quand on est jeune et inexpérimenté, on peut ressentir le syndrome de l'imposteur et penser qu’on n’est pas capable de le faire. Je pense qu'il faut embrasser cette attitude et que la jeunesse est un avantage. Cela peut vous permettre d'apporter quelque chose que des monteurs ou des réalisateurs beaucoup plus expérimentés ne pourraient pas. Vous devez accepter votre ignorance, car cela peut vous mener à explorer la timeline et apporter quelque chose de nouveau à partir de ce que la génération précédente a déjà fait. Il ne faut pas voir cela comme un cours ou un examen, mais comme une opportunité de création.
C. : Quels sont vos projets futurs ? Qu’avez-vous prévu pour la suite ?
R.C: Avec ce film, j’ai eu l’impression de faire partie d’un projet qui fait avancer le médium, en innovant sur la forme et la manière de raconter des histoires. J'aimerais à l'avenir être impliqué dans d'autres projets qui ont aussi cette intention de faire progresser le médium et d'expérimenter avec les nouvelles technologies qui sont à notre disposition, pour parler du monde complexe dans lequel nous vivons d'une manière nouvelle.
Je suis également réalisateur. J'ai réalisé un court documentaire musical sur un groupe de métal pour lequel j'avais également fait des clips vidéo. Cela s'appelle Honesty, Integrity, Friendship, Passion. C'est un album visuel que j’ai créé pour le groupe belge Hypochristmutreefuzz, et j'ai réalisé tous les clips vidéo qui accompagnent leur album. C’est sur YouTube, allez voir ça !
C. : Qu’avez-vous finalement retiré de ce projet et de ce travail à base d’archives ?
R.C: Ce que j’aime en travaillant sur base d’images d’archives ou de séquences déjà existantes, c’est qu’elles sont parfois déjà montées. En tant que monteur, vous entrez en dialogue avec ce qu’un monteur précédent a fait. Il arrive que plusieurs générations séparent les deux monteurs. C’est fascinant de réfléchir à leurs choix de montage et de voir comment les images racontent l’histoire de manière différente suivant les choix opérés. Un exemple intéressant est celui d’un extrait de journal télévisé que nous avons utilisé, montrant l’arrestation de Lumumba. Nous avons travaillé avec plusieurs versions : la version américaine, britannique, néerlandaise, française et russe. C’est vraiment intéressant de voir les petites différences dans le montage entre ces versions et d’imaginer les choix qu’ils ont faits à l'époque.
C. : Merci Rik Chaubet pour cette plongée dans l’univers du montage d’archives et dans votre univers où la musique tient une place prépondérante.
Traduit de l'anglais par Malko Douglas Tolley
La prochaine Masterclass du Palace : jeudi 17 octobre à 18h30
Le jeudi 17 octobre, le palace invite Michelle Beeckman pour parler du travail de makeup designer sur le film JULIE KEEPS QUIET. La masterclass sera précédée d'une projection du film et la rencontre aura lieu en anglais.
https://www.cinema-palace.be/fr/evenements/masterclass-make-designer-julie-keeps-quiet
HYPNOS, un album visuel par Rik Chaubet et Hypochristmutreefuzz : https://www.youtube.com/watch?v=8CaDTCiiUbE
A voir également : Interview de Johan Grimonprez, Soundtrack to a Coup d’Etat