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Sibérie - Une histoire de cheveux de Boris Lehman

Publié le 14/02/2022 par Bertrand Gevart / Catégorie: Critique

Depuis 1983, le réalisateur Boris Lehman a consigné une forme autobiographique filmique en prise avec le réel et l’actualité, un grand chantier constamment ouvert et indéterminé qu’il ne cesse d’alimenter par des mots, des souvenirs, des photographies, et des images. Ce fleuve d’images, qui déborde parfois, ne sachant plus contenir son rapport politique au monde, se poursuit aujourd’hui avec Sibérie, un récit documentaire puissant et poétique dans lequel s’imbriquent traces de l’histoire et post mémoire.

Sibérie - Une histoire de cheveux de Boris Lehman

L’on se souvient qu’Histoire de mes cheveux digressait au fil des images pour aborder les contours de l’Histoire et le retour du cinéaste dans le pays de ses parents, à la recherche de traces imperceptibles, minuscules, microscopiques, impalpables. Il semblait clôturer le film par sa présence dans un camp de concentration soviétique dans lequel il s’installa, comme s’il y avait toujours habité. Voilà donc où menait cette histoire de cheveux : aux confins de l’histoire et de l’intime. Mais en réalité, le film ne se terminait pas là. Et Sibérie en est le deuxième opus. Car au condamné à mort du camp, s’ajoute le long périple de l’exil du rescapé.

Immergé dans des étendues pascaliennes dans lesquelles l’on se sent étranger, le film débute par une interrogation : où suis-je ?
Boris Lehman entre soudainement dans le paysage immaculé au milieu de nulle part. Il entreprend alors une longue marche qui ne semble pas avoir de fin. Noir. Un carton apparaît avec le plan que Boris Lehman voulait réaliser, un plan digne d’une évasion issue d’un film de Samuel Fuller, un plan qui se déroulerait au crépuscule, couteau à la main, essayant de s’enfuir du camp en poignardant un gardien dans le dos.
Immédiatement, le réalisateur convoque notre imaginaire de la séquence à produire mentalement et l’imaginaire issu de l’histoire du cinéma. Ce procédé, qui inscrit l’indétermination au cœur du film, est aussi celui qui lui permet de déjouer le cours fatal de l’Histoire et de le mélanger au présent.
Car c’est bien entre ces deux temporalités que le film se déploie et avance sur plusieurs niveaux, celui du documentaire, du journal intime et du récit de voyage à la recherche de ses origines. Au bout d’un périple de plus de 9.000 kilomètres, quelque part au bout du monde, le cinéaste arrive dans une ancienne enclave autonome juive imaginée par Staline, afin de retrouver des traces de son nom. Mais la fin, c’est aussi la mort, l’arrêt, le non mouvement, et l’allégorie du train s’arrêtant dans les camps. Alors il entrecoupe ce voyage par la rencontre de gens, des autres, qui deviennent à leur tour le sujet du film et passeurs d’histoires.

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