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Spectres de Sven Augustijnen - 2011

Publié le 23/07/2024 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

En marchant dans les pas et dans l’ombre du chevalier Jacques Brassinne de La Buissière, politologue et ancien diplomate belge ainsi que “spécialiste” de l’assassinat de Patrice Lumumba, l’artiste Sven Augustijnen questionne et interroge l’Histoire, celle racontée comme celle contestée. Spectres est ainsi autant un documentaire qu'une œuvre artistique mêlant paraître et faux semblants, vérités construites et dissimulées, entre la Belgique et le Congo d’hier et d’aujourd’hui.

Spectres de Sven Augustijnen - 2011

Revenir aux origines pour mieux comprendre. Dans ce film entre documentaire et essai cinématographique, le cinéaste belge s’associe avec le politologue dont la thèse soutenue à l’Université Libre de Bruxelles autour de l’assassinat de Lumumba en 1991 lui valut plusieurs années le titre de spécialiste de la question, jusqu’à ce que celle-ci soit contestée par les recherches de l’historien et sociologue Ludo De Witte au début des années 2000. Un projet mené par l’artiste à la veille du dépôt de plainte de la famille Lumumba contre douze Belges présents au Katanga au moment des faits en 1961. Ainsi, Spectres permet à Augustijnen, dont les installations et les créations artistiques n’ont eu de cesse d’explorer des thèmes politiques, historiques et sociaux en mettant l'accent sur l'historiographie et la narration, de plonger son spectateur dans l’une des pages les plus singulières et sombres des relations entre la Belgique et le Congo.

Lorsqu’on découvre Spectres aujourd’hui, difficile de ne pas s’interroger sur ces premières minutes dans la bucolique propriété de l’héritier d’Harold d’Aspremont Lynden, ministre des Affaires africaines à l’époque de l’assassinat de Lumumba. Conscients de la présence de la caméra, le politologue et l’héritier racontent à nouveau leur vérité, fruit des nombreuses années de recherche. Tandis que flotte au loin le drapeau belge, fièrement levé sur cette demeure où le passé transpire des murs.

Tout au long de cette odyssée dans ses propres traces, Jacques Brassinne de La Buissière reste fidèle à son récit et à lui-même, alors que ses manières et ses actions trahissent le colonialisme latent que ses paroles dissimulent. Un positionnement capté dans les gestes et les attitudes de l’homme vénérable et que les textes du réalisateur, qui ponctuent silencieusement les images du début à la fin du film, viennent nuancer et remettre en cause. De réponses, Spectres n’en propose pas, là n’est pas le propos. Mais avec ce documentaire, Augustijnen souligne à nouveau que l’Histoire est écrite tant par les vainqueurs que par les vivants, et que l’intégrité du Roman national belge n’est pas si facilement égratignée.

Depuis, l’enquête liée à la plainte introduite par les héritiers de Lumumba en 2011 n’a toujours pas été conclue. Une plainte qui ciblait, entre autres, Jacques Brassinne lui-même, décédé en janvier 2023. En 2022, le Parlement belge a refusé l’accès à des documents confidentiels liés au dossier, les plaçant sous scellé parlementaire, alors même que la Belgique présentait ses excuses à la famille Lumumba par la voie d’Alexander De Croo. Une façon, peut-être, de faire oublier cette tâche sur l’entente belgo-congolaise en la diluant dans le bain de la diplomatie. Mais le temps n’efface pas les images, et les spectres sont toujours là.

 

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