Quelques semaines à peine après la sortie du Grand Tour, Jérôme le Maire était de retour avec Thé ou électricité, documentaire plus profond et cynique qu’il n’y paraît sur l’installation de l’électricité dans un village perdu situé au Maroc. En intervenant très peu lors du tournage, le réalisateur préfère laisser la parole aux villageois à la fois attirés et frustrés par cette nouvelle énergie qu’ils ne connaissent pas ; il peut alors esquisser les conséquences néfastes que la modernité engendre parfois dans une société. Un sujet qui s’avère finalement plus universel qu’on ne pourrait le croire.
Thé ou électricité de Jérôme le Maire
Tout débute à Ifri, à 2600 mètres d’altitude, dans un paysage lunaire, où la roche étouffe le village et en rend difficile l’accès. Dans ce décor beau mais aride, dont les seules couleurs sont le rouge de la terre en été et le blanc de la neige en hiver, l’agriculture est trop difficile, aussi, la plupart des hommes sont éleveurs. Les enfants ne vont pas à l’école, les femmes s'épuisent et s'abîment à couper et transporter du bois pour cuisiner. Lorsque deux employés de l’Office National de l’Électricité viennent annoncer l’arrivée prochaine d’installations électriques, cela ne semble pas particulièrement convaincre les anciens. Le village va toutefois s’impliquer dans les travaux physiquement, humainement et financièrement.
Jérôme le Maire a toujours privilégié la notion de communauté à celle de l’individu : ce n’est pas Claude Volter, mais l’ensemble de sa famille qui est mise en avant dans Volter ne m’intéresse pas et c’est un groupe d’amis qui est le sujet du Grand Tour. Ici, le cinéaste se penche sur le village dans son ensemble : aucun personnage central, aucun visage dominant, juste un groupe perdu dans ses contradictions, à l'image de l’homme qui vend les vaches qui le nourrissaient pour pouvoir payer l’électricité qui ne sert finalement pas à grand-chose.
Ironie que d’apporter l’électricité à des gens qui n’ont pas les moyens de la payer. Si Thé ou électricité débute, toute virulence et comparaison politique gardée, à la manière du Las Hurdes de Luis Buñuel (description d’un village pauvre, isolé où les enfants meurent faute de soins), il devient pourtant rapidement le récit d’une absurdité sans nom, une illusion du bien-être. Le cinéaste observe le village avec une affection évidente : point de misérabilisme, mais de la chaleur humaine. Les personnages ne sont pas des sujets de reportage, mais bien des êtres humains qui confessent leurs envies et leurs inquiétudes à un réalisateur qu’ils sentent visiblement complice. Si la forme du film est parfois trop classique, le propos n’en est pas moins percutant : les habitants ne demandent pas l’électricité, mais la route pour faciliter l’accès au village de la médecine, de l’éducation, du commerce. Ils n’auront que l’électricité, des ampoules pour la nuit et surtout, surtout, la télévision, objet maudit à l’instar de cette séquence où, plutôt que de se moderniser, le village s’isole encore un peu plus, non seulement de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur, chacun restant désormais chez soi. Le prix de la modernité ? Oui et non, car Jérôme le Maire contrebalance, en une simple image, le bonheur que peut apporter l’électricité dans un foyer. Et de laisser le spectateur le soin de se faire sa propre opinion. Aucune leçon de morale, juste une piste de réflexion ; c’est aussi ça, le cinéma.