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Tokyo Anyway de Camille Meynard

Publié le 08/10/2013 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Quelques personnages en quête d'auteur 

Errance de quatre trentenaires en mal de vivre, Tokyo Anyway de Camille Meynard est un premier long métrage en mode mineur, qui sans vouloir faire le portrait d'une génération, n'en donne pas moins une représentation d'une tristesse sans fond. On le découvrait dans la compétition Emile Cantillon au Festival du Film Francophone de Namur. Conçu à partir d'un travail collectif d'improvisation, le film est sans doute une expérience intéressante et il tient sa barre grâce à pas mal de fraîcheur, à des comédiens talentueux, et à une caméra solide. Mais comme ses personnages en quête de sens, Tokyo Anyway fait surtout du surplace et patine dans son portrait au final plutôt triste d'une génération désabusée.

Tokyo Anyway de Camille MeynardArmel, Faustine, Camille et Félix sont quatre trentenaires qui se débattent avec leur vie. Armel zone dans un appartement un peu miteux, entre un boulot de serveur de café, beaucoup de solitude et pas mal de pétards. Son père, mafieux de la grande industrie pétrochimique, à qui il n'a pas parlé depuis dix ans, vient de mourir et lui lègue tout un tas de pognon dont il ne veut pas. Faustine, elle, semble avoir réussi, elle travaille à la Commission Européenne. En tailleur noir, elle évolue avec son badge et sa mallette, mais son boulot se résume ici à rédiger des dossiers que quelques autres mafieux de la même industrie valident ou pas. Elle tente de se débattre, de se révolter, mais le dégoût de soi s'installe. Félix est mannequin et s'humilie de casting en casting, jusqu'à trouver un job qui l'emmènera au Japon, la réussite pour lui peut-être enfin au bout du chemin. Et il y a Camille, avec qui il vit, pour le moment, qui ne veut pas le suivre là-bas, qui attend un enfant, ne sait pas comment le lui dire, le vit seule, jusqu'à finir par le lui balancer lors de sa soirée d'anniversaire qui les réunit tous les quatre. Une soirée sans beaucoup de joies ni d'amour. Où ils règlent leurs comptes avant de retrouver un peu de leur chaleur. Quatre jeunes gens plus très jeunes, dont le film feuillette les moments de vies. En montage alterné, il va des uns aux autres. Et il avance en patinant un peu. Jusqu'à des retrouvailles un peu ratées qui amènent de nouvelles séparations. Chacun son chemin, son corps, ses silences... Chacun sa vie.

Tokyo Anyway de Camille MeynardBrinquebalant, Tokyo Anyway finit tout de même par se tenir, de séquence en séquence, de répétition en répétition. Même si ça se grippe parfois, un plan de coupe qui vient combler un silence, un raccord étrange, des séquences qui s'alanguissent et se complaisent un peu, quelques situations rebattues comme ces deux garçons qui se bourrent la gueule, ces deux jeunes femmes dans une fête foraine.... Mais dans l'ensemble, le film progresse modestement, ne jette pas de poudre aux yeux, se permet des effets discrets – mais pas beaucoup de fantaisie ni d'originalité. Dépouillé et humble, il tient surtout grâce à ses quatre comédiens dont il scrute les silences, les visages et les corps, les questions, les doutes et les peurs silencieuses.

Tokyo Anyway de Camille MeynardTokyo Anyway s'ouvrait sur les paroles d'un cinquième personnage, un peu fantomatique qui erre entre eux et qui leur soufflait à l'oreille : « Il ne faut pas lâcher ». La cinquième de la bande qui a disparu vient hanter tout le film à travers une séquence à la mer qui va et vient dans la trame du récit. Tous ensemble dans les vagues, courant sur la plage, jeux d'enfants, plaisirs et joies des corps, moment d’innocence et de plénitude vouée à la mort, instant annonciateur d'un deuil qui n'en finirait pas. Et ces quatre vies qui font du surplace ne trouvent pas beaucoup de sens ni de consolation, sinon peut-être à réussir à se quitter, à ne plus devoir faire bande par fidélité à une morte. Mais ce deuil d'une amie, de rêves et d'ambitions recouvre tout le film. Un peu de fiasco donc, de déshérence, pas mal de silence et de solitude, et quelques espoirs, quelques « anyway » du bout de lèvres. Plutôt d'une tristesse sans nom, d'une gravité qui ne se dit pas, une désolation qui se résout à peine dans un enfant à venir, un pays où s'en aller... Des résolutions modestes pour un film modeste, avant tout un film d'acteurs, en somme, sur une trame narrative plutôt mince et désenchantée. 

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