J’ai connu Ulysse quand j’étais enfant. C’était un gars populaire de mon quartier que j’admirais pour sa beauté et son charisme. Puis nous nous sommes perdus de vue. J’eus envie de faire un film avec lui.
Ulysse de Guérin Van de Vorst
La manière abrupte dont Guérin van de Vorst entame son récit est caractéristique de la démarche du cinéaste. Il ne livre aucune autre explication de son désir de filmer et ne pose pas la question de l’origine de la schizophrénie qui enferma son ami aux alentours de la trentaine. Il l’accompagne dans sa vie quotidienne, retrace son histoire à travers les témoignages de son père et de photographies. Ce fut un enfant unique et désiré. Sa famille fut déchirée par le départ de la mère lorsqu’il avait neuf ans. Et ce prénom d’Ulysse qui fit l’objet de sesA délires n’annonçait-il pas l’errance qui sera la sienne. Rien n’est dit d’emblée sur le long séjour en hôpital psychiatrique que fit Ulysse avant que nous ne fassions sa connaissance et qu’il vécut comme une séquestration. La première crise se manifesta par des hallucinations où Ulysse se vit assiégé dans le chalet de vacances où il séjournait seul par ce qu’il nomme des antéchrists . Nous n’en sauront pas davantage sur les liens existant entre celles-ci et une éducation chrétienne. Ulysse se décrit comme vivant dans une bulle, emprisonné dans une cellule. Et lorsqu’il dessine un château comme un corps où la langue pénètre, peut-être représente-t-il un tel état. Le cinéaste l’accompagne. Ulysse se livre à la mendicité dans le métro, se réfugie dans un parking.
C’est une silhouette familière , anonyme et chacun d’entre nous l’a peut-être aperçue. Au labyrinthe de la ville étouffante s’oppose l’image d’Ulysse dressé sur un rocher, le visage tourné vers le large. Il déchiffre des doigts les signes creusés dans la pierre. Et peut-être, inconsciemment, s’identifie-t-il au héros de l’Odyssée. Mais la confrontation avec la réalité provoque une nouvelle crise. Des voisins se sont plaints des coups violents frappés la nuit sur les murs de son appartement. La lettre d’un avocat que lui lit son père provoque son délire. Ulysse revit à nouveau l’emprise d’esprits hostiles, il tombe dans le déni des autres et de lui-même et craint un nouvel enfermement. Le film se termine tragiquement lorsqu’Ulysse disparaît au large de la mer, dans le fracas du ressac. Guérin Van de Vorst partage ce sentiment d’impuissance qui fait dire à son héros : « Dans un problème, il n’y a aucune solution ».
Mais comment aider Ulysse, l’accompagner, le sauver ?Aujourd’hui que tant de jeunes hommes errent par la ville, sans toit souvent, la question nous est posée, sans que nous puissions y répondre.