Cinergie.be

Une journée ordinaire de Claude François

Publié le 01/11/2003 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Une journée ordinaire : Les contemplations

 

Une journée ordinaire de Claude François

 

Le 22 février 2002 : une journée ordinaire à Bruxelles. La ville s'extrait peu à peu de la nuit. Les cloches sonnent la messe du matin, les trams sortent peu à peu des dépôts en grinçant des rails, les rues se garnissent d'autos. Aux Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique, une salle encore vide au fond de laquelle sont accrochés Les marchands de craie (1882-1883), un triptyque de Léon Frédéric (1856-1930). Au milieu du passage, deux silhouettes de bronze semblent veiller ce chef d'oeuvre naturaliste aux couleurs fraîches. Deux sculptures de Constantin Meunier (1831-1905) : Le Pudleur (1889) et Le Marteleur (1886). Petit à petit, la salle se garnit de visiteurs. Au milieu du panneau central du triptyque, une jeune femme pose sur nous un regard de pauvresse : fatigué, mélancolique et résigné. Comme si elle était cette femme, la caméra observe les spectateurs la regarder. Dehors, un pâle soleil d'hiver éclaire la ville agitée et bruyante.

 

A l'abri des murs épais du bâtiment, isolés de la rumeur, nous assistons, muets, à cette étrange confrontation du sujet et de ses visiteurs. Je te regarde, tu m'interpelles. Tu n'es pas seule pourtant. A côté, ton homme... non, ton père sans doute,...barbu, baisse la tête d'un air accablé. Et la femme à gauche, le visage caché dans son fichu, un enfant dans les bras, c'est ta mère ? Moi, je ne vois que toi, au centre, au milieu de tes quatre frères et soeurs (du moins je le suppose) dont tu es l'aînée. Tu fixes sans ciller de tes beaux yeux bleus ceux qui te découvrent et que tu troubles. Tu es belle, intense, et malgré la dureté de ta vie, il émane de toi une force douce et tranquille qui m'impose le respect. Dehors, la ville bruisse mais j'entends le vent glacial qui souffle dans la plaine que tu foules. Debout, assise, marchant mangeant, tu te fais double, triple dans les panneaux du polyptique. Les bronzes de Meunier sont les témoins muets, comme jaloux, des rapports que tu noues avec tes visiteurs. Dans le calme ouaté de cette salle de musée, tu es là, figée à jamais et d'une formidable présence. Tes yeux jettent un pont sur le gouffre du temps. J'ai un peu le vertige. Le soir tombe, tes visiteurs s'en vont, toi et les tiens restent là, dans l'ombre, avec tes compagnons de métal, le Pudleur et le Marteleur. Dehors, cela fume, cela klaxonne, cela vrombit. Les voitures s'entassent dans la rue de la Régence et les lumières de la ville augmentent mon vertige. C'était le 22 février 2002 : une journée ordinaire à Bruxelles.

Tout à propos de: