Dans le monde du cinéma belge, Benjamin Ramon se démarque par son approche nuancée du jeu d'acteur. Connu pour ses rôles dans des productions telles que Tueurs et la série La Trêve, mais également Megalomaniac de Karim Ouelhaj et la nouvelle saison de la série Trentenaires où il interprète le rôle de Vincent Francart. Avec plus de 20 ans de présence continue sur la scène belge, Ramon a su gagner le respect de ses pairs et captiver le public. Alors qu'il continue de prendre part à des projets variés, et notamment un projet musical avec des clips vidéo, Cinergie.be s’est assis avec lui à l’occasion de sa participation au jury international du BIFFF 2024 afin de discuter de son parcours, de ses inspirations, et de ce que l'avenir lui réserve.
Benjamin Ramon, comédien, chanteur et scénariste
Cinergie.be : Quelle fut votre première expérience dans le monde du cinéma ? Comment cette grande aventure a-t-elle débuté ?
Benjamin Ramon : Je pense que je devais avoir 21 ans. C’était pour un court-métrage. Il s’agissait d’un travail de fin d’études d’un autre étudiant alors que je venais de rentrer à l’INSAS. À l’époque, on ne pouvait pas jouer en dehors du cadre scolaire si on faisait des études dans cet établissement. C’était pendant les vacances de Pâques en 2000/2001. Je fête mes 24 ans de carrière, je m’en souviens très bien. Le court s’appelle Les Enfants de cœur (2001), d’Alexis Van Stratum et il s’agit de mon premier film de cœur également.
C. : Êtes-vous plus actif au cinéma ou au théâtre ?
B. R. : J’ai une formation de comédien, acteur de théâtre. Mais très vite on m’a dit que ce sera soit le théâtre, soit le cinéma. Pour moi, ce fut directement le cinéma, car on est venu me chercher. J’ai rapidement eu un agent à Paris. Je pense que cinq mois après mes débuts, j’ai obtenu mon premier rôle en France où je jouais un autiste. Tout s’est déroulé très rapidement au début. Donc, le théâtre j’en ai fait très peu finalement. J’y suis retourné un peu en 2019 pour une pièce, mais c’est tout.
C. : Es-tu également compositeur de musique pour le cinéma ?
B. R. : Alors non, ce n’est pas moi. Il y a un Benjamin Ramon qui est compositeur de musique de film, mais ce n’est pas moi. Par contre, je suis un gros mélomane et je travaille énormément en musique pour m’inspirer. Mais je n’ai jamais fait de solfège. Je joue au piano avec trois doigts. J’ai écrit un court-métrage de comédie musicale, Le Clandestin (2021) qui aborde les problèmes de communication entre les hommes et les femmes. Tous les dialogues sont des chansons. Les femmes chantent et les hommes dansent. J’ai été amené à rencontrer beaucoup de compositeurs. On m’a demandé d’écrire pour d’autres projets. Un compositeur a entendu une des maquettes qu’on avait remise à la Commission et il a demandé qui était cette espèce de Léonard Cohen français. Je lui ai dit que c’était moi, mais que j’étais comédien et pas chanteur. Je pense que trois jours plus tard, je l’ai recontacté en lui disant que j’étais comédien et que j’allais créer un personnage du nom de BATAR. On s’y est mis, mais très vite le projet s’est arrêté et je n’ai plus eu de nouvelles. J’étais dans le creux et un ami m’a donné un midi/minuit, cette espèce de petit piano qui se branche sur l’ordinateur. Je lui disais que je n’avais jamais joué ni composé, mais il a insisté et il m’a dit d’y aller à fond. Et donc j’ai finalement composé quinze morceaux. Je m’autoproduis, mais ce qui est marrant, c’est qu’il y a quelque chose de très cinématographique dans la manière dont j’écris et je compose. Par exemple, il y a un morceau qui s’appelle Photoshopé. C’est un morceau qui parle des problèmes de l’image. Pour le clip, j’ai fait une version de 9 minutes qui s’appelle La Vie photoshopée. Tout était réfléchi musicalement en fonction du clip que je voulais réaliser. C’est l’histoire d’une professeure d’aérobic qui transforme ses élèves en vampires et en zombies. Voilà.
C. : Est-ce quelque chose que vous aimeriez développer dans le futur ?
B. R. : Il y a un truc dans la chanson où je me dis que ça rassemble un peu à tout ce que j’ai fait jusqu’à présent. Il y a l’écriture. Il y a l’aspect cinéma pour la réalisation des clips. Dans les années 1980, les clips étaient des petits courts métrages et j’ai envie de ramener ça. Et il y a la danse aussi, même si évidemment je n’ai plus vingt ans.
C. : Qu’en est-il de ce court métrage en comédie musicale que vous avez écrit ?
B. R. : Malheureusement, il n’a pas encore été réalisé. On est en conflit avec les producteurs. On a eu la commission et la RTBF ainsi que Culture Culture, mais une fois qu’on a eu le budget, la réalisatrice et moi sommes entrés en gros conflit avec les producteurs. On a contacté la commission et la SACD, mais le dialogue est devenu impossible. On a pris un avocat, mais on a tout perdu. Je n’abandonne pas. On a contacté un autre producteur qui est intéressé, mais on va devoir redémarrer le projet depuis zéro. Le projet est donc gelé pour l’instant.
C. : Le catalogue du BIFFF où vous occupez la place de jury pour la compétition internationale vous présente à travers une poignée de films. D’abord il y a Cannibal (2010) de Benjamin Viré. Ensuite il est fait mention de Tokyo Anyway (2013) de Camille Meynard. Il y a également Être (2014) de Fara Sene. Enfin, les deux derniers et pas des moindres, Yummy (2019) de Lars Damoiseaux ainsi que Megalomaniac (2022) de Karim Ouelhaj. En quoi ces films résument-ils votre carrière ?
B. R. : Cannibal est mon premier film de genre, mais je n’ai qu’une toute petite scène où je me fais dévorer. Tokyo Anyway est un film que j’ai coécrit avec le réalisateur et on était parti avec un groupe d’amis pour le réaliser. C’est un film à petit budget, mais avec un chouette parcours. Il avait bénéficié d’une sélection au FIFF et une première nomination aux Magritte du cinéma. C’est un film que j’aime beaucoup. Le film Être était venu assez étrangement au BIFFF. Il y a un flic et vu que la sélection est ouverte également aux polars, il avait été pris. Dans Yummy (film de zombies), j’étais ce qu’on appelle le connard de service. C’est l’histoire d’une fille qui veut faire une diminution mammaire. Mon personnage travaille dans cet hôpital pour avoir ses doses gratuites. J’emmène le mec de la nana qui est stressé faire un petit tour et on tombe sur le patient zéro. C’est un film très drôle. Après ce n’est pas tout à fait mon genre de film, car j’ai peur de tout moi. Mais ce fut très drôle à jouer. Je suis tombé dans ce projet par hasard. Il y a également Megalomaniac de Karim Ouelhaj bien entendu. Durant la préparation et le tournage, Karim et moi, nous ne nous sommes pas bien compris. C’est par la suite qu’on a compris qu’on était sur la même longueur d’onde. Le tournage de Megalomaniac s’est déroulé dans des conditions particulières. Il s’agissait de trois semaines de tournage assez intenses dans une maison où il faisait 6°. Le processus de finalisation du film a été assez long, mais le résultat est super. J’aurais adoré aller en festival pour le présenter, mais il y a eu le Covid et nous n’avons pas pu le présenter. Il va d’ailleurs probablement réaliser un clip d’une de mes chansons. Normalement, Benjamin Viré de Cannibal va réaliser mon clip de La Vie photoshopée, une autre chanson de mon album.
C. : Pensez-vous que le film de genre n’est pas assez représenté dans le cinéma belge ? Comment expliquer le peu de retentissement de Yummy ?
B. R. : Yummy est sorti au moment du Covid et ça a rendu le film un peu inaperçu, même si le FIFF de Namur avait présenté une carte blanche du BIFFF où il a été diffusé. J’ai l’impression que ça reste compliqué de recevoir de l’aide des institutions pour les films de ce type alors que la demande semble importante. J’ai un projet d’écriture de long métrage de genre. Ça parle de sujets actuels et on va voir comment le projet se met en place. C’est aussi Karim qui va le réaliser si le projet voit le jour. Je crois qu’un des soucis du cinéma belge, c’est qu’il faut des têtes d’affiche françaises pour intéresser la presse. Il faudrait vraiment que ça change. Quand un comédien belge va à l’école, on efface son accent. Pour moi, l’accent fait partie du patrimoine et je me dis que c’est important. J’ai fait une petite apparition dans Dikkeneke (2006) où les accents sont hyper prononcés et ce fut un énorme succès en France. Pour finir, les films sont tellement édulcorés que le public français ne perçoit même plus qu’il s’agit d’un film belge. Le cinéma belge ressemble à un autre film français. Est-ce le problème du cinéma belge francophone ? Moi en tant que comédien, je sens qu’il y a peu d’intérêt tant qu’on n’a pas brillé à l’étranger. Il s’agit d’une réalité.
C. : Quels sont tes projets de cinéma?
B. R. : J’ai remporté l’espoir masculin des Magritte du cinéma en 2016 pour mon rôle dans Être de Fara Sene et depuis, étrangement, en Belgique francophone, je travaille moins. Là je suis sur une série qui s’appelle Trentenaires de Joachim Weissmann. La deuxième saison est sortie ce dimanche sur Auvio et la troisième est déjà prévue. En même temps, je ne désespère pas et je me dis que si les projets ne viennent pas à toi, vas aux projets et crées-en. On me dit souvent d’arrêter de me plaindre et que je tourne tout le temps, mais en fait ce n’est pas le cas. En vérité, dans le long métrage de David Lambert intitulé Troisièmes Noces (2018), je joue un fantôme du mari de Bouli et c’est écrit dans le scénario, je serai flou tout le film. C’est à la limite de la figuration. Il y avait une très belle scène à la fin du film, mais elle a été coupée au montage. C’est un peu compliqué. On a souvent tendance à dire que tout va bien, mais c’est une erreur. Il y a de vraies réalités économiques et des difficultés dans le métier. Je pense que c’est important d’en parler. C’est compliqué d’être comédien ou réalisateur. C’est super, sinon je n’aurais pas continué. Mais j’encourage vraiment les gens du métier à s’affirmer et à arrêter de vivre dans la peur. On a la peur de perdre le statut d’artiste. La peur d’être boycotté si on parle un peu trop. Et en fait, non, il faut le faire dans le respect et de manière justifiée. Le fait de venir au BIFFF et revoir du monde et des amis, ça me remotive.
C. : Pouvez-vous nous en dire plus sur la série Trentenaires qui vient de sortir sur Auvio?
B. R. : Comme je disais, ce n’est pas toujours facile. Pour la série, les budgets sont restreints et le tournage s’étend sur cinq mois. On est bloqué durant ce temps, mais je ne travaille que maximum 35 jours sur plateau. Sur le long terme, ce n’est pas tout à fait viable non plus. Les deux premières saisons ont été réalisées par Joachim Weissmann et la troisième saison sera réalisée par Philippe Rigaux. La série suit un groupe d’amis de trente ans. C’est 24 épisodes de 24 minutes. Sur papier, ce n’était pas trop ma tasse de thé, mais finalement, ça fonctionne plutôt bien et le public s’y retrouve. En lisant le scénario et en voyant la première saison, c’est assez addictif et accrocheur. Il faut s’accrocher dans les cinq premiers épisodes de présentation des personnages et puis c’est parti. La première saison est disponible intégralement sur Auvio et la seconde saison vient de sortir. On commence le tournage de la troisième saison le 21 mai.
C. : Quels sont les autres projets que vous avez en prévision en dehors de la série pour l’instant ?
B. R. : Il y a mon projet d’écriture de long qui va être un film sur la transphobie avec Karim Ouelhaj à la réalisation, mais on est encore trop tôt pour en dire plus. Aujourd‘hui, on ne peut plus juste faire un film là-dessus et je dois bien me renseigner et rencontrer des associations et des personnes qui le vivent au jour le jour pour ne pas tomber dans le cliché. La parole se libère et on doit être à l’écoute des personnages concernés pour avoir la légitimité d’écrire un film là-dessus. Sinon il y a également mon projet musical avec mon personnage BATAR. Ce projet musical est hyper créatif, car j’embarque plein de copains avec moi et c’est vraiment chouette. Il y a déjà trois morceaux qui sont mixés. Ils doivent être masterisés. Les trois clips sont déjà prévus et cela va prendre la forme d’un triptyque de cinéma avec une histoire qui se suit. Dans le titre La Vie photoshopée, je parle des problèmes des réseaux sociaux. Les jeunes développent des problèmes comme la dysmorphophobie. Il s’agit d’une préoccupation concernant des défauts perçus de l'apparence physique qui ne sont pas apparents ou apparaissent légers à d'autres personnes. En tant qu’acteur, j’ai un recul par rapport à ça, et vu que le problème s’est fortement élargi et se trouve désormais dans la poche de tout le monde, je me suis dit que j’avais des choses à transmettre. J’ai écrit une chanson là-dessus en français et je suis très inspiré par Gainsbourg. Je ne voulais pas faire un clip attendu où je me filme avec un téléphone. Le message de ta chanson est “Sois toi-même”. Mon personnage devient un prof d’aérobic style années 1980 avec l’apparition des codes du corps. Et justement, ses élèves ne rentrent pas dans les standards des canons de beauté. Le prof leur dit qu’il faut maigrir, être beau et jeune. Tout ce qui me fait gerber. Ils les transforment en zombies, certes canon de beauté, mais vides et il se nourrit de leur avidité en devenant un vampire. Ce qui est étrange, c’est qu’en décidant de réaliser ce clip pour Photoshopé qui est un morceau calme, j’amène un truc plus disco et rythmique. J’ai donc ajouté toute une partie plus soundtrack/bande-son pour le clip avec des cordes qui rappellent les films d’horreur et c’est Benjamin Visé qui va le réaliser.
C. : Qu’en est-il des deux autres clips prévus pour ce triptyque musicocinématographique ?
B. R. : La chanson du clip qui sera probablement réalisé par Karim Ouelhaj, il s’agit du thème de l’addiction et de la drogue. Elle s’appelle Insecticide. Le morceau entre les deux s’intitulera Mode d’emploi et sera la suite directe de La Vie photoshopée. La suite de Mode d’emploi amènera à Insecticide qui sera un récit très fantastique avec des monstres et un personnage qui tombe dans la drogue. C’est Edith de Paul qui va réaliser Mode d’emploi. Il s’agit de la réalisatrice du court métrage sous forme de comédie musicale Le Clandestin que j’ai écrit. BATAR est venu vraiment par accident, mais il s’agit d’un projet musical très lié au cinéma.
Saison 1 & 2 sur AUVIO : https://auvio.rtbf.be/emission/trentenaires-24976
Cinergie sur le tournage de la série Trentenaires : https://www.cinergie.be/actualites/sur-le-tournage-de-la-serie-trentenaires