Avec BXL, présenté en avant-première mondiale au Film Fest Gent et en ouverture du Cinemamed de Bruxelles, Ish et Mounir Aït Hamou livrent une vision brute, viscérale et sans filtre de Bruxelles. À travers l’histoire de deux frères – l’un adolescent, l’autre adulte – ils capturent une ville marquée par les injustices sociales, le harcèlement scolaire, les abus policiers, mais aussi par sa diversité et son humour. Le frère aîné, entre journées à l’usine à construire des boîtes pour des livraisons et rêves de MMA aux États-Unis, incarne le manque de perspectives qui frappe une partie de la jeunesse. BXL montre une capitale qui cogne fort, mais où l’humanité, la richesse culturelle et des débats absurdes sur la sauce mayonnaise ou andalouse samouraï rappellent qu’on sait encore sourire. Un film ancré dans ses rues, sincère et percutant, qui frappe aussi fort qu’un combat de MMA.
Bruxelles, entre réalités et rêves : Rencontre avec les réalisateurs de BXL
Cinergie.be : Comment est né le projet de votre film?
Ish Aït Hamou : Il y a quelques années, j'ai réalisé un court-métrage, Klem (2015), avec la maison de production Potemkine. Il s'agissait de l’adaptation d’un de mes romans. Ensuite, le producteur de Potemkine, Peter De Maegd, nous a parlé d’un projet qu’il essayait de monter. Ce projet se déroulait à Bruxelles, entre les attentats de Bruxelles et de Paris. Nous avons lu le scénario et lui avons donné notre retour, en lui expliquant que si nous participions à ce projet sur Bruxelles, nous ne voulions pas parler de ces événements. Nous avions l’impression que notre plume permettait d’aborder des sujets plus intéressants et importants. C’est ainsi que nous avons proposé l’idée de deux frères qui cherchent à atteindre un rêve, et les producteurs ont accepté cette nouvelle direction. Finalement, ce scénario est devenu BXL (2024).
C. : Comment s’est déroulée la collaboration entre vous deux sur le tournage ?
Ish Aït Hamou : Moi, j’allais chercher le café (rires).
Mounir Aït Hamou : Et moi, si le café était chaud, j’étais motivé ! Mais s’il était froid, je laissais Ish faire (rires). C’est vraiment une question de feeling. Pour ma part, j’ai acquis de l’expérience en faisant une série et en étant acteur aussi, notamment avec une nomination au Magritte du meilleur acteur pour Les Barons (2009). Ensuite, dans le cinéma belge, on apprend à faire de tout. Ish, de son côté, a été danseur et chorégraphe, donc la mise en scène, il connaît un peu. Il est aussi auteur. On sait tous les deux un peu tout faire, et c’était vraiment une question de feeling pour certaines scènes. Lorsque l’on écrit à deux, certaines scènes parlent forcément plus à l’un qu’à l’autre.
C. : Avez-vous un exemple d’une scène du film qui vous a particulièrement marqué en tant que réalisateur ?
M. A. H. : Il y a plusieurs scènes qui m'ont marqué, mais j'ai particulièrement aimé celle du contrôle de police. Au départ, tout le monde rigolait sur le plateau. Mais je trouvais qu’on prenait cette scène un peu trop à la légère, alors j’ai voulu y ajouter quelque chose de plus complexe. Ce sont des petits détails, des moments dans la scène où l’on apporte une nouvelle dimension à la séquence.
C. : BXL est-il une émanation du réel et de votre vécu à Bruxelles, ou s’agit-il d’une vision de Bruxelles telle qu’elle est souvent dépeinte dans la presse internationale, parfois pas très élogieuse à propos de notre capitale ? Ce film représente-t-il une facette authentique de Bruxelles ?
I. A. H. : Lorsque l’on regarde le film, on ressent qu’il est très ancré dans la réalité. Cependant, il est important de se rappeler que, qu’il s’agisse de littérature ou de cinéma, la réalité est toujours filtrée par le prisme du réalisateur ou du scénariste. Ce projet ajoute une pierre à l’édifice de la perception de la ville de Bruxelles. Il existe déjà plusieurs visions de Bruxelles et de ses habitants, et nous offrons simplement un nouvel angle d’approche. Par notre créativité, nous espérons apporter quelque chose qui n’a pas encore été montré au cinéma. Notre manière de filmer et de concevoir le film est profondément ancrée dans la réalité. Nous connaissons Bruxelles par ce que nous y avons vécu, mais aussi grâce aux expériences partagées par nos amis proches. C’est un film de fiction.
C. : Votre film s’ancre profondément dans le réel, un réel que l’on ressent encore plus lorsqu’on connaît Bruxelles. Ne s’inspire-t-il pas aussi, d’une certaine manière, de l’image que les médias internationaux ont façonnée de la ville après les attentats qui l’ont marquée ?
M. A. H. : Pour moi, se rendre en Flandre, c’est déjà un voyage à l’international ! Mais ce film reste une histoire belge, avec des thématiques très ancrées dans notre pays. Nous voulions surtout montrer une certaine réalité nationale à travers les personnages, sans se contenter du premier niveau de lecture. Notre objectif était de raconter Bruxelles de manière brute, telle que nous la vivons, avec ses complexités et sa beauté.
I. A. H. : Ce côté international est mis en avant dès le début du film, à travers des citations, mais c’est davantage pour exposer la vision extérieure de Bruxelles au spectateur. Ce n’était pas notre intention de réduire Bruxelles à cette seule image vue de l’extérieur.
C. : Quels ont été les retours du public jusqu’à présent ?
M. A. H. : Nous avons reçu de nombreux retours, et ils sont très variés. Le film aborde tellement de thématiques qu’il touche chaque spectateur de manière différente, en fonction de son vécu personnel. Par exemple, certaines personnes sont particulièrement marquées par la scène à l’école, tandis que d’autres réagissent davantage à celle avec la police.
I. A. H. : Même notre entourage direct nous fait part de ses impressions, et on se rend compte de l’importance que chacun accorde à certaines scènes. Certains sont sensibles au personnage du professeur, d’autres à la mère des garçons, ou même au père, malgré sa faible présence à l’écran. C’est une expérience qui suscite des émotions variées, et c’est une belle surprise de voir cette énergie circuler.
C. : BXL (2024) n’est pas un film uniquement axé sur l’action, mais il s’agit bien d’un film à voir au cinéma. Pourquoi ?
I. A. H. : Certains films, comme ceux de Nolan, sont pensés pour être vus en IMAX. Mais pour BXL, ce n’est pas la taille de l’écran qui compte. L’important, c’est de voir ce film en groupe, de pouvoir échanger avec d’autres personnes après la séance. Nous n’avons pas conçu ce film pour qu’il soit vu en IMAX, mais pour qu’il soit partagé dans un contexte social. Voir ce film ensemble décuple l’énergie transmise par certaines scènes. Mais bien sûr, on espère qu’il touchera également les spectateurs qui le verront seuls.
M. A. H. : Nous avons voulu créer un film qui reflète la vie elle-même, avec ses douleurs cachées sous le rire. Il fallait un équilibre entre la tension dramatique et l’humour pour toucher le public. Voir que cela fonctionne si bien, c’est vraiment une grande satisfaction.
C. : Était-il important pour vous que les Bruxellois valident votre film pour qu’il soit réussi ?
I. A. H. : Quand on réalise un film, on pense forcément à son public. Tous les personnages représentent une communauté ou un quartier, et cela a été pris en compte dès l’écriture et la préparation. Bien sûr, nous voulions que les Bruxellois se reconnaissent dans le film. C’était important pour nous qu’un Bruxellois qui regarde le film se dise : « C’est une réalité que je connais ». Nous avons relevé ce défi, et maintenant, notre objectif est d’attirer un large public en salles.
C. : Comment avez-vous ressenti le fait de tourner dans autant de lieux emblématiques de la capitale ? Et comment s’est déroulé le tournage ?
I. A. H. : Quand on travaille en coproduction avec un pays étranger, il y a souvent des choix à faire. Par exemple, on doit faire appel à des équipes techniques étrangères pour certains aspects. C’est pourquoi nous n’avons pas fait de coproduction étrangère. Nous voulions garder l’équipe aussi locale que possible. La participation de tout le monde a permis d’ajouter de petits détails sur Bruxelles, des touches authentiques. Le processus a été incroyable. Sans les personnes locales, qui portent un amour pour Bruxelles, nous n’aurions pas obtenu ce résultat. Le film ne fait pas la promotion de la ville, mais il montre des endroits qui nous tiennent à cœur. Parfois, on montre des choses magiques, parfois moins belles.
C. : Quel a été votre plus grand défi pour tourner dans les rues de la capitale ?
I. A. H. : La difficulté majeure a été le bruit. Il y a du bruit partout à Bruxelles : les travaux, les marteaux-piqueurs, et les sirènes toutes les dix secondes.
M. A. H. : Et pourtant, ces sons font aussi partie de l’identité de Bruxelles. En post-production, nous avons même ajouté certains de ces bruits, car ils apportent une authenticité supplémentaire.
I. A. H. : L’autre défi a été la météo. On tournait souvent sous la pluie, et parfois le soleil ne restait pas assez longtemps. Il fallait accélérer le tournage à chaque rayon de soleil.
M. A. H. : Mais c’est aussi ça, faire un film. C’est le défi de chaque tournage, et on s’adapte avec ce qu’on a. C’est un film sur Bruxelles, et nous avons voulu le montrer au maximum en extérieur, dans des lieux reconnaissables par les Bruxellois.
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