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Caroline Tambour, assistante de réalisation pour Jeunes Mères des frères Dardenne

Publié le 10/06/2025 par Dimitra Bouras et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Métiers du cinéma

Assistante de réalisation depuis ses études à l’IAD, Caroline Tambour s’est forgé une sérieuse réputation en travaillant sur de nombreux films des frères Dardenne dont leur dernier long métrage, Jeunes Mères. Métier de l’ombre, le poste d’assistante de réalisation nécessite des compétences particulières telles que la rigueur et l’organisation mais aussi l’écoute. Comment établir un plan de travail ? Comment comprendre les envies du réalisateur ou réalisatrice et les transmettre à tout le monde sur le plateau ? L’assistant·e de réalisation joue un rôle clé. Forte de son expérience sur les plateaux, Caroline Tambour s’est aujourd’hui tournée vers la direction de production. Elle aborde dans cette entrevue les différentes facettes de ces deux métiers cachés du cinéma. 

Cinergie : Comment êtes-vous devenue première assistante ?

Caroline Tambour : Je suis devenue première assistante mise en scène en faisant des études à l'IAD. Après mes secondaires, j'ai fait un stage à la RTBF où je me suis dit que l'univers de la télé allait me plaire. Quand je suis rentrée à l'IAD, je me suis rendu compte qu'il y avait d'autres métiers que la télé, que j'ignorais complètement, dont les métiers du cinéma. Et spontanément, je me suis dirigée vers ça. Il y avait un prof là-bas qui s'est rendu compte de mes aptitudes d'assistante. Et donc très vite, à l'IAD, on a aménagé un peu mon horaire pour que je puisse commencer à assister tous les camarades. Et puis très vite, en deuxième partie de parcours à l'IAD, j’ai commencé à être assistante sur des pubs ou des projets en dehors, toujours sous la coupe de ce prof qui s'appelait Bernard De Dessus les-Moustier, qui avait la charge de cours à l'IAD. Maintenant, c’est moi qui ai repris sa charge de cours.

 

C. : Qu'est-ce qu'il a vu en vous comme qualités pour être une première assistante en réalisation ?

C. T. : Je pense qu’il a dû voir le plaisir et l’énergie folle que j’avais à faire ça parce que c'est un métier pas évident qui demande de l'organisation, de la rigueur, etc. Et bizarrement, parce que je ne l'explique pas par rapport à ma personnalité, j'ai eu directement un plaisir fou à mettre les gens en contact, à organiser et puis surtout à voir le cinéma se créer devant mes yeux. C'est une place, je trouve, privilégiée pour assister à ça. Or, même si je ne m’en rendais pas compte à l’époque, c’est l’amour du cinéma qui m’a poussée à faire ces études.

 

C. : En quoi consiste ce travail de première assistante ?

C. T. : Dans le travail de première assistante, il y a deux grandes parties : la préparation et le tournage. La préparation commence par une lecture du scénario, par une compréhension de ce scénario pour voir un peu tout ce qui est nécessaire pour que, quand on tourne, les choses soient en place, pour que la mise en scène puisse travailler. On va faire ce qu'on appelle un dépouillement. On va dire, dans chaque scène, il y a tel personnage, tel figurant, tel accessoire. Et puis, on va mettre en perspective tous ces éléments dans un agenda de tournage qui s'appelle le plan de travail. On va organiser tout le tournage en fonction des disponibilités des comédiens, des décors, mais aussi en fonction de l'assistant qu'on est. Donc, je sais que, moi, je fais un plan de travail avec les mêmes contraintes qu'un autre assistant, mais il sera forcément différent parce que je vais y mettre mon sens, ma propre musique qui se déploie dans le rythme du plan de travail.

 

C. : Comment s’organise un plan de travail?

C. T. : Il y a plusieurs programmes maintenant qui aident le travail d'assistant, mais c'est une grande grille en Excel avec des colonnes, et chaque colonne est une séquence. Donc, séquence 1, il y a tels comédiens, il y a autant de figurants, il y a ce matériel supplémentaire-là, ce matériel particulier qui n'est pas avec nous tout le temps et un décor. Une colonne par séquence. Et après, nous, on va ordonner tout ça en fonction des décors. On va regrouper les séquences qui se tournent dans les mêmes décors et on va les mettre dans le plan de travail en fonction des disponibilités des décors, des comédiens.

Ça a l'air un peu technique et mathématique, mais une fois qu'on a rentré toutes les contraintes, il y a effectivement une première base de plan de travail qui va aboutir, une version 1. On arrive souvent à devoir créer 10, 15 voire 30 versions. Je veux dire que c'est un travail de longue haleine. Mais il y a certaines souplesses à l'intérieur de ce plan de travail, c'est-à-dire que tout n'est pas contraint. Il y a certaines semaines où on peut se permettre d'aménager à l'intérieur de la semaine certains décors plutôt que d'autres, de suivre un rythme pour commencer en jour, terminer en nuit, par rapport au rythme des équipes, à la fatigue, etc., aux présences des enfants, s'il y a des comédiens-enfants, donc toutes ces contraintes-là doivent rentrer et doivent à un moment donné faire sens dans un agenda dans lequel on a réfléchi pour qu’on puisse donner notre meilleur, c'est-à-dire ne pas subir la fatigue, ne pas subir des changements de rythme. 

Quand je finalise un plan de travail, que je l’ai organisé dans les grandes lignes, je le montre au réalisateur ou à la réalisatrice qui peut demander des ajustements. À force de discussions, on adapte ce document qui va être le document phare de tout le film. C’est vraiment LE document que tout le monde a dans sa poche normalement et qui va servir de référence pour tout le tournage. 

Donc en prépa, on est en charge du plan de travail et en charge de l'organisation générale, c'est-à-dire qu'on va faire aussi une sorte de rétroplanning. L'important n'est pas de faire le planning, mais l'important est de mettre en relation les gens. Essayer, par exemple, deux semaines avant le début du tournage, de faire se rencontrer les comédiens qui répètent avec les costumiers, les coachs. On va essayer d'optimiser le temps de tout le monde et les qualités de travail de tout le monde.

 

C. : Le rôle de l’assistant de réalisation, c’est aussi celui d’un chef d’orchestre.

C. T. : En préparation, on exerce plutôt un travail de bureau essentiellement, pas avec les frères Dardenne justement, mais en général. Un travail de bureau, de précision, d'organisation, et puis quand le jour 1 du tournage commence, on est censé devenir cette personne qui va être vue et entendue de l'équipe et qui va effectivement emmener l'équipe dans une énergie pour qu'on ne perde pas de temps. On fait en sorte que la réalisation ait un plateau et une méthode de travail qui lui correspondent. Il s’agit d’adapter le plateau pour que tout se synchronise et que tout se passe le mieux et le plus vite possible.

On organise tous notre vie mais le faire dans un but de cinéma, c'est là que moi j'y mets du sens, de l'intérêt et du plaisir.

 

C.: Et quelles sont les difficultés qu’un assistant réalisateur pourrait rencontrer ?

C. T. : L'assistant est entre le réalisateur, l'équipe technique et la production qui veut terminer avec de bonnes estimations de fin de journée, sans trop d’heures supplémentaires. Et c'est là qu'est la difficulté, c'est de respecter les horaires sans frustrer un réalisateur et en donnant à l'équipe technique les moyens, l'organisation, le temps de bien travailler. Après, il y a des assistants qui font des projets très techniques, et des assistants qui aiment bien faire des séries ou du téléfilm, où on rend beaucoup de plans par jour. C'est aussi un plaisir pour moi mais ce que j'aime vraiment, c'est trouver une façon de faire, une méthode de travail adaptée à chaque projet en concertation avec le réalisateur.

 

C. : Quelle est la différence entre votre travail sur les films des frères Dardenne par rapport aux autres films ?

C. T. : Depuis quelques années, je ne fais plus que de la direction de production et je ne fais plus d'assistanat. Mais, c'est vrai que pendant longtemps, j'étais assistante sur le film des frères et sur d'autres projets. Chaque collaboration est différente mais avec les frères, on a trouvé une méthode de travail qui leur convient et qui me convient aussi. Normalement, la préparation, équivaut au temps de tournage. Avec les frères, c'est différent, la préparation va être beaucoup plus longue, c'est plus ou moins 2 fois la durée du tournage qui déjà, elle-même, est plus longue que d'habitude. Je dois être avec eux pendant plus ou moins 4, 5 mois de préparation et de tournage. Il y a une première partie de préparation où, effectivement, on essaye de trouver les grandes lignes de l'agenda du tournage. Ce qui prend quand même pas mal de temps parce que les frères préfèreraient tourner dans la continuité. Et puis, la grosse partie du travail de préparation avec les frères, c'est d’organiser les répétitions qu’on prépare presque comme le tournage. On va répéter avec les comédiens qui sont peut-être en costume, dans les décors, avec déjà certains accessoires clés autour desquels la scène va se déployer.

Pendant ces répétitions je suis à leurs côtés pour prendre en compte leurs remarques et leurs demandes.  Je reçois toutes ces informations que je peux ensuite dispatcher et elles font sens pour moi puisque j’étais incluse dans le processus.  Cela me permet d’être efficace dans mon travail avec les différents départements. Cette volonté de travailler dans la continuité est vraiment une méthode particulière qui ne s’applique pas à tous les réalisateurs. Cela prend beaucoup de temps et souvent, il s’agit d’être dans l’efficacité et de tourner les scènes pour ne pas perdre de temps avec les décors, être dans une méthode plus découpée mais si je peux, je trouve que la continuité fait vraiment sens.

 

C. : Vous êtes également professeur à l’IAD.

C. T. : Oui, j'encadre les assistants réalisateurs de master qui viennent terminer ou spécialiser leur formation. Normalement, ce sont des jeunes qui sont déjà formés et qui savent ce qu’est un plan de travail, une préparation, le but du jeu, etc. Ils connaissent la technique mais j’essaie de leur apprendre qu’il faut être à l’écoute d’un réalisateur et qu’il faut essayer de comprendre les exigences de la mise en scène et de créer un lien avec elle. 

La difficulté, c’est qu’ils doivent trouver leur juste place en tant qu’assistants, travailler dans l’ombre mais être une des personnes de référence sur le plateau, une personne qu’on doit entendre et écouter sans prendre le dessus.

 

C. : Quelle est leur formation antérieure ?

C. T. : Ils doivent être bacheliers mais ils viennent d’un peu partout. Ce ne sont pas tous des réalisateurs. Ils seront probablement 4-5 dans la section, ce qui est bien car cela correspond au nombre de films de fin d’études.

 

C. : Actuellement, vous travailler comme directrice de production. En quoi consiste la direction de production ?

C. T. : Cela fait quelques années que je ne fais plus d’assistanat, sauf pour les frères Dardenne, et je ne fais plus que de la direction de production. J'ai voulu faire ce métier-là parce que j'avais l'impression qu'il y avait une série de décisions importantes qui se prenaient en amont de l’assistanat pour lesquelles je n’avais mon avis à donner.

Ce métier a quelque chose de plus englobant puisqu’on est là dès le début du projet.

On lit le scénario, on le dépouille pour le chiffrer. On doit réfléchir à quelle enveloppe attribuer au casting, quel matériel de tournage choisir en fonction de la première enveloppe annoncée par la production. Ensuite, on va réfléchir avec la réalisation pour rendre possible le projet avec le cadre qu’on a. Cela permet d’arriver en début de préparation pour accueillir l’assistant réalisateur, la régie générale avec une connaissance du budget et s’assurer que les moyens dont on dispose soient nécessaires.

 

C. : Quelle est la formation pour être directrice de production ?

C. T. : Pour être assistant, le mieux c’est d’être d’abord 3e assistant, 2e puis 1er. On peut évoluer dans ce métier-là. Mais, pour la direction de production, ce n’est pas possible. Souvent, ce sont d’anciens régisseurs généraux ou régisseuses générales, des administrateurs de production, des personnes qui s’occupent plus des chiffres qui prennent ce chemin-là. Il faut avoir une connaissance du plateau pour pouvoir chiffrer correctement. Pour moi, c’est une force énorme de connaître le plateau et d’avoir été assistante. Ma difficulté réside plutôt dans les chiffres, ce n'est pas mon domaine initial donc je demande plus d’aide de ce côté-là. Mais, ça s’apprend. Et, c’est un métier qui me permet de rester sur le territoire, ce qui est plus simple pour gérer nos vies de mères.

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