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Claude Barras. Le lien à la fiction, l’esprit d’équipe, le réflexe d’autonomie

Publié le 17/10/2024 par Katia Bayer, Cyril Desmet et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Sauvages, le nouveau long-métrage de Claude Barras, a fait ses débuts à Cannes en séance spéciale. Présenté dernièrement au FIFF, le film, produit par la Suisse, la France et la Belgique, se conçoit comme une fable écologique confrontant un monde un peu trop moderne à une histoire de racines. Si on se souvient bien du très beau Ma vie de courgette qui mêlait déjà stop motion, enfance, famille, émotion et humour, on découvrira Sauvages, réalisé 8 ans plus tard, dès ce 16 octobre en salles.

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Cinergie : Vous avez travaillé avec Céline Sciamma pour Ma vie de courgette et avec Catherine Paillé pour Sauvages. Qu’est-ce ce qui vous intéresse chez les scénaristes qui ont plus de liens avec la fiction que l'animation? 

Claude Barras : Je pense que la question du genre est intéressante parce qu’il y a des gens qui prétendent que l'animation est un genre et d'autres gens qui prétendent que l'animation est une technique. Je fais partie de ceux-là. Moi, je fais plutôt de la fiction avec la technique de la stop motion qui est entre l'animation et la prise de vues réelles, puisqu'on filme quand même des acteurs avec une caméra et la lumière sur un plateau. 

C'est vrai que je travaille avec des scénaristes de fiction parce que je fais de la fiction quelque part, vu que je fais des films qui sont réalistes et que ce ne sont pas des films de fantaisie ou d’aventure, comme on les voit souvent pour les enfants. Je vais chercher cet aspect-là chez des scénaristes dont j'aime le travail en fiction. Céline Sciamma, j’ai eu l'occasion de travailler avec elle parce que mon producteur la connaissait et qu'elle était dans une période où elle venait d’arrêter un film qu'elle était en train d'écrire. Elle cherchait quelque chose à faire pour s'occuper, donc c'est bien tombé. J'ai eu beaucoup de chance parce qu'elle était très demandée à l'époque. Je travaille avec des scénaristes parce que c’est un métier, raconter des histoires, faire des films. Ça demande de travailler avec des spécialistes à chaque étape. Moi, je ne sais pas tout faire et puis formater, disons, un scénario pour enfants dans une durée d’1h30 maximum, trouver l'arc narratif de chaque personnage, les croiser, j'ai appris un petit peu comment ça fonctionne, mais je n'ai pas tous ces outils et tous ces réflexes qu'un scénariste qui fait ça tous les jours. Moi, je me concentre sur les personnages et sur quelques idées de scènes. Et puis ensuite, vraiment, on construit ensemble. J'aime beaucoup travailler en équipe, donc pour le scénario aussi, c'est un plaisir d'échanger.

 

C. : Entre Ma vie de courgette qui a presque 10 ans et Sauvages, qu’est-ce qui a vraiment évolué ? 

C.B. : Ma vie de courgette, c'était un premier film, on a construit la fabrication du film avec les moyens du bord. On a un peu improvisé en cours de route, on a rattrapé pas mal de choses qu'on n'avait pas anticipées et ça a demandé beaucoup d'énergie. Et ça, c'était une très belle aventure, mais quand même très coûteuse en énergie. On a animé à trois secondes par jour des marionnettes. C’était plus simple que celles de Sauvages où on était à quatre secondes et demie par jour et par animateur. On a gagné en efficacité en organisant mieux le tournage et puis en préparant beaucoup mieux chaque étape pour ne pas se retrouver dans des situations de blocage parce qu'il manque une marionnette sur le tournage ou parce qu’on doit improviser en cours de route. Ça a donc été vraiment un plus de production et d'accompagnement de chaque étape du film. Et puis entre les deux, moi, je suis aussi devenu papa. C'est vrai qu'en plus, je ne pouvais pas m'impliquer de la même manière au niveau du temps et des émotions dans le projet. J'ai aussi beaucoup plus délégué. L’équipe était un peu plus grande aussi parce que le projet était un peu plus long. Toutes ces choses ont un peu changé.

 

C. : Vous êtes venu en interview avec une marionnette du film. Pourquoi est-ce important d'emmener des personnages avec soi ? Ça donne de la force, ça permet de crédibiliser le projet ?  

C.B. : Disons que ça permet de répondre à pas mal de questions techniques de manière assez simple, parce qu'on voit la taille de la marionnette, on comprend assez vite comment ça fonctionne. Et puis, il y a une espèce de présence des marionnettes qui est assez intéressante à voir. Ce n'est pas non plus obligatoire, mais c'est vrai que ce sont de beaux objets qui font partie du film et qui, sinon seraient stockés dans une boîte. Autant les partager aussi avec les gens qui s'intéressent au film, mais ça reste quand même que des objets. On oublie toujours que le personnage, c'est la marionnette, mais c'est aussi la voix pour plus de la moitié. C’est la voix qui va habiter le corps qu'est la marionnette. C'est vraiment ce mariage entre la voix et la marionnette qui va aboutir au personnage final.

 

C. : Ce qu'on oublie en animation aussi, c'est qu’on a des décors qui prennent de la place. On les construit et il faut, après, s'en débarrasser. Ce qui reste souvent, ce sont de fameux petits objets. 

C.B. : C'est vrai que ce n’est pas trop compliqué à transporter, mais pour les décors du film, par contre, on a pu les stocker en partie. En tout cas, tout ce qui était encore assez beau et utilisable, on l’a stocké à Martigny [Suisse] sur le lieu de tournage. Les deux derniers mois, une petite équipe a fabriqué une quinzaine de modules de deux mètres sur un avec quelques marionnettes dessus, c’est chaque fois une scène du film. On a toute une série d’expositions qui viennent de démarrer dans le Valais, puis ensuite à Genève, peut-être un peu en France. Il y a pas mal de monde finalement autour de ces décors. Il y a un côté assez fascinant, ces mondes en miniature et on a la chance de ne pas tout avoir mis à la benne, comme ça peut arriver certaines fois.

 

C. : Maintenant que vous avez ce recul, qu’est-ce que Ma vie de courgette vous a apporté en tant que professionnel? 

C.B. : Je pense que ça m’a apporté beaucoup de crédibilité parce que Sauvages était quand même un film ambitieux. Il a coûté 12 millions d'euros. Il fallait trois pays coproducteurs. Je pense que sans le succès de Courgette, ça aurait été impossible de le financer. En plus, c'est un film qui parle d'écologie, mais qui est réaliste, avec des aspects assez engagés. On m’aurait posé beaucoup plus de questions, je pense, sur le scénario si Ma vie de courgette n'avait pas eu ce succès. J'ai remarqué aussi dans les premières avant-premières qu'il y a un public qui vient voir le film parce qu'il a aimé Ma vie de courgette, notamment des enfants qui avaient huit ans et qui en ont seize ou vingt maintenant. Il y en a pas mal à chaque projection. Ça, c’est un truc que je n'ai pas du tout calculé et qui me fait assez plaisir parce que je pense que la thématique concerne aussi des jeunes de 16 à 20 ans, vu qu'on parle du monde qu'on va leur laisser, qu'on leur laisse déjà un peu, qui est quand même assez abîmé et dont il faudrait s’occuper. Je pense que ça peut aussi les intéresser, les porter et les aider aussi à avoir un peu d'espoir et envie de lutter.

 

C. : Est-ce que votre paternité participe à ça justement, à l’idée de faire un film sur le nomadisme, l'écologie, la confrontation de deux mondes et les technologies ? 

C.B. : La paternité, elle est venue en cours de route, après l'écriture du scénario, mais elle résonne complètement avec le travail qui est fait dans le film, donc oui, les deux sont bien liés.

 

C. : Vous avez parlé de voix. Comment avez-vous travaillé avec vos comédiens ? 

C.B. : C'est à partir de l'écriture du film que je vais commencer à réfléchir à des acteurs. Pour Pierre-Isaïe Duc, c’était assez simple. Il prêtait sa voix à mon court-métrage Le Génie de la boîte de raviolis et c'est le grand-père qui est dans Sauvages, j’avais déjà travaillé avec lui. Laetitia [Dosch], j'avais vu son spectacle « Hate », qui était assez engagé, assez loufoque. Pour ce personnage de biologiste qui est un peu décalé, perdu dans la jungle, j'avais envie de travailler avec elle. Elle a aimé le scénario donc ça a été assez facile. Pour le père, Benoît Poelvoorde m'a été proposé par le producteur. C'était un ami à lui, donc c'était assez simple, et c'est vrai que Benoît est un acteur qui a du talent dans tous les registres. Il a amené quelque chose de vraiment très touchant, je trouve, dans le personnage du père, un peu ambivalent.

Entre les propositions qu’on me fait et les envies que j'ai, on va chercher des gens. Pour les enfants, Michael Bier a fait un casting assez large et ensuite, on a fait un atelier où on a fait jouer les enfants ensemble jusqu'à trouver les deux personnes qui avaient le bon âge et la bonne interaction pour que ça soit naturel au moment de l'enregistrement des voix. Et c'est comme ça qu'on a trouvé Babette De Coster et Martin Verset.

 

C. : Vous avez produit un court métrage La Femme canon de Albertine Zullo et David Toutevoix (2017). Pourquoi avez-vous commencé à produire ? 

C.B. : On a une petite structure de production, on est trois associés avec l’un des animateurs du film, Elie Chapuis, et un ami qui est plus dans la culture. On a une productrice, Clémence, qui travaille pour nous. Ça permet de mieux comprendre le travail de production quand je mets en scène, quand je réfléchis en écrivant ou quand je fais le storyboard. J'ai quand même le réflexe d’économie sans qu'un producteur vienne me taper sur l'épaule et me dise : « Attention, là ça va coûter cher ». En tant qu'artiste, je suis assez intéressé par le "minimalisme ». En tant que citoyen aussi, je suis plutôt dans la sobriété. Et puis en tant que producteur, je pense que tout ça se rejoint de manière assez simple. Par exemple, voir marcher un personnage en stop motion, ça prend beaucoup de temps parce qu'il faut gérer l'équilibre de la marionnette, visser les pieds au sol. Quand un personnage marche, on le tient. Il faut vraiment que ça soit un plan qui ait du sens, qui soit beau et qui soit intéressant. Et sinon, je cadre un peu plus serré. C'est donc une gestion de l'énergie, mais du coup de l'argent aussi qu'on va mettre dans chaque plan et dans la construction du film.

 

C. : Là, il s'agissait d'un court métrage, est-ce que vous auriez envie de continuer à produire ? 

C.B. : Ce qui m'intéresse, c'est effectivement de pouvoir produire, d'accompagner d'autres créateurs avec. Il y a mon expérience, mais aussi d'autres gens qui ont d'autres expériences. Oui, j'aime bien ça. C'est toujours l'idée de partager et d'essayer de ne pas être focalisé sur un seul projet, un seul film pour varier un peu le plaisir.

 

C. : Est-ce que les choses bougent pour le cinéma en Suisse ? 

C.B. : Jusqu'il y a une vingtaine d'années, il n'y avait pas tellement d'écoles ou des formations. Ensuite, il n’y a eu que des écoles de réalisateurs, et maintenant dans les hautes écoles, à Lausanne, Genève, Lucerne, Zurich, il y a des filières de scénario, de production de son, d'animation et de très bonnes choses qui sortent des films de diplôme.

Je pense qu'il y a une génération qui arrive qui commence à faire de la série, à travailler sur des projets plus ambitieux. Il y a un beau renouveau du cinéma en Suisse et de l'animation aussi. On est passé quand même de quelques courts métrages par année maintenant, avec de temps en temps des longs, des projets de série et et pas mal de petits studios qui se sont montés. C'est plutôt quelque chose qui se développe bien.

 

C. : Est-ce que vous dessinez ? 

C.B. : Moi je viens du dessin et j'ai une formation d'illustrateur. Je voulais faire des livres pour enfants. J'ai fait l'école Emile Cohl à Lyon. Je dessine et je sculpte mes personnages. J'ai commencé par dessiner et faire Banquise (co-réalisé avec Cédric Louis), un court métrage, en dessin. Et puis, j'ai dessiné les personnages de Max & Co qui était le premier long-métrage d'animation des frères Guillaume, et ils m'ont proposé d'essayer de les mettre en volume. C’était la première fois que j'essayais de sculpter et j'ai adoré ça. Pendant mes études, je faisais soit des nus soit des études d’objets, la stop motion est arrivée après.

 

C. : On accole souvent l'idée d’artisanal au cinéma d'animation. Même si vous avez une grosse production pour ce film, il y a un peu cette philosophie, non ? 

C.B. : Alors, c'est sûr, moi, j'aime travailler avec des équipes sur un plateau ou avec des équipes à fabriquer des marionnettes en atelier. Ce qui n'empêche pas qu'on utilise quand même des ordinateurs pour la prise de vues, qu'on fait de l'impression 3D pour les bouches et les têtes et la conception par ordinateur pour certaines parties du squelette des personnages. Mais quand même toujours dans l'idée de travailler en équipe d'une manière la plus simple possible avec des marionnettes. C'est ça qui m'intéresse.

 

C. : Qu’est-ce que les festivals vous apportent ? 

C.B. : Je pense principalement à l'échange avec un public qui est assez particulier. C'est souvent des gens, des cinéphiles qui ont vu plein de films, qui posent des questions. C'est le premier public en général du film, donc c'est les premières émotions qu'on partage avec les gens à qui on destine finalement des années de travail. Peut-être pas tous les jours, mais disons que quand je dessine les personnages, j'essaie de me mettre à la place du spectateur à chaque étape du film jusqu'au montage pour essayer de faire le chemin émotionnel et les informations que reçoit le spectateur au bon moment pour qu'il soit surpris, qu’il reste attentif, qu’il ressente des émotions.

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