Est-il possible de s'attacher à un personnage odieux, ouvertement raciste et franchement populiste, jusqu'à le suivre dans les aventures les plus folles ? C'est l'étonnant défi que s'est fixé Nabil Ben Yadir et qu'il relève haut la main avec Angle mort (Dode Hoek). Mettant en scène Jan Verbeeck, un commissaire aux pratiques douteuses qui quitte son poste à responsabilités pour rejoindre un parti d'extrême droite, le réalisateur signe un thriller haletant qui, au-delà d'une action pleine de rebondissements, nous confronte aux affres du devenir politique.
Dode Hoek - Angle mort de Nabil Ben Yadir - en salles le 25/01
Au commencement, il y a le mythe. Afin de témoigner du caractère populaire autant que populiste de Jan Verbeeck, c'est sur un plateau de télévision que s'ouvre le film. Vendant à la fois son livre et son entrée en politique, l'homme qui est alors encore commissaire en charge de stups à Anvers prend littéralement en otage l'animateur d'un talk-show contemporain en s'offrant une liberté de parole que la formule de l'émission ne lui donne pas. Les propos choquent, l'arrogance agace, mais une personnalité s'impose. Décidé à ponctuer son dernier jour dans la police en apothéose, excité par quelques informations glissées à l'oreille d'un de ses collaborateurs, le commissaire anversois organise une descente à Charleroi dans un laboratoire clandestin. La situation lui échappe, mais Jan Verbeeck se révèle fin stratège. Toutefois, une faille s'est ouverte, enclenchant une mécanique de dominos où se succèdent des événements incontrôlables auxquels l'homme tente de faire face.
Le rendant faillible, Nabil Ben Yadir nous enjoint à épouser son ressenti, aussi trouble soit-il. Un véritable tour de force qui s'opère dans une logique aventureuse. Écrit par Nabil Ben Yadir et Laurent Brandenbourger (co-scénariste de Sortie de clown et de les Barons) avec la collaboration de Michel Sabbe (scénariste notamment des séries télévisées Spitsbroers, Thuis, Zone Stad et Dag & Nacht), Angle mort offre à son protagoniste le statut d'un héros quasi invisible qui, tel un phénix, renaît de ses cendres. Aussi détestable puisse-t-il être, Jan Verbeeck se veut fascinant avant de devenir magnétique. Si l'interprétation de Peter Van den Begin n'y est pas étrangère, cela repose sur un « malin » jeu scénaristique qui nous conduit tour à tour à le détester pour mieux l'apprécier.
Le caractère rocambolesque de l'action fait mouche grâce à l'acuité de Nabil Ben Yadir à la mise en scène. Observant le protagoniste avant de nous fondre à l'énergie (graduellement explosive) des scènes, le réalisateur démultiplie les points de vue pour nous emporter dans un véritable tourbillon et nous impressionner. La photographie de Robrecht Heyvaert (Black, D'Ardennen) flirte avec les codes du genre tout en se révélant inventive, tandis que la musique et le design sonore de Senjan Janssen (Kid) offrent au film un caractère quasiment organique. Habile dans la direction de ses acteurs (citons David Murgia ou Jan Decleir), Nabil Ben Yadir flirte à dessein avec les stéréotypes qu'il met en scène, assumant parfaitement la logique du film de genre, afin de les dépasser pour nous glacer les sangs tant derrière la fiction se tissent des enjeux dont le réalisme est alarmant.