Eldorado de Bouli Lanners
Eldorado
Bouli Lanners est un personnage intriguant, un peintre ayant une connaissance approfondie de la couleur, mais surtout de la lumière et de ses nuances – le plus important, au cinéma, car c'est la lumière qui organise, lorsqu'on tourne en extérieur, le cadre et non l'inverse. Peintre, donc, mais pas seulement : comédien que tous les fans des Snuls (Canal+ Belgique) connaissent bien, chanteur que les fans du mirifique Aaltra de Benoît Delépine et Gustave Kervern ont découvert, réalisateur d'Ultranova (2005) et Eldorado (2008). Où donc cet acteur/réalisateur s'arrêtera-t-il ? Après nous avoir présenté une Wallonie filmée comme les vastes paysages du Montana avec Eldorado, Bouli file-t-il à la conquête de l'Amérique (pas pour Hollywood, mais pour l'espace américain) ? Pourquoi pas ? Après tout, le parcours Europe-Amérique est celui de Wim Wenders, le cinéaste préféré de Bouli Lanners (avec Jim Jarmusch et Aki Kaurismäki).
Dans Eldorado, le moyen de transport utilisé par le réalisateur est une vieille Chevrolet parcourant les routes d'une Wallonie cadrée en Scope pour en dilater l'espace, en élargir l'étendue. La prédilection pour le travelling latéral (dès Travellinckx, son troisième court métrage) est la ligne favorite de ce road movie avec les embrayages musicaux rock baignant ce récit scotché dans l'humour. Humour, vous avez dit humour ? Certes, Yvan (Bouli Lanners) et Elie (Fabrice Adde), forment un duo gros et maigre à la Laurel et Hardy. Eldorado démarre sur leur rencontre burlesque dans la maison-garage de voitures vintage d'Yvan.Celui-ci découvre dans sa chambre, Elie, un cambrioleur planplan raplapla, davantage endormi, sous son lit, par la maladie du sommeil que mû par la volonté de commettre un larcin.
Un marginal rencontre plus marginal que lui et le prend sous son aile. Deux individus superflus dans le monde du travail qui échappent à l'idéologie de la servitude économique, à l'utopie de la consommation, en vivant un moment de solidarité. Dans Eldorado, l'humain, la question humaine nous est posée avec ce style doux-amer qu'affectionne Bouli Lanners. Une partie de l'humanité continue à vivre même si elle n'intéresse plus grand monde dans un occident médiatisé et dématérialisé.
En ce qui concerne l'utilisation de la lumière, lisez et regardez (grâce à notre webvidéo) notre entretien avec Jean-Paul Zaeytijd, le directeur photo du film, qui souligne le choix des couleurs chaudes du réalisateur, son goût pour intégrer dans un plan, de petits nuages moutonneux, permettant de subtiles variations de lumières et sa préférence pour l'utilisation du grand angle.
Bonus
Comme dans Ultranova, une poignée de Bonus amusants et deux courts métrages du réalisateur, Les sœurs Van Hoof (1995), premier court de Bouli Lanners. Nous connaissons déjà son côté farceur mais on est ici devant un petit film (un plan toutes les trois secondes), bizarre, curieux, déconcertant, drôle, épatant, étonnant, étourdissant, étrange, extraordinaire, formidable, imprévu, abracadabrant, (tant qu'à jouer les Madame de Sévigné, continuons), inattendu, inconcevable, incroyable, inopiné, insoupçonnable, invraisemblable, merveilleux, mirifique, nouveau (tout en étant ancien), phénoménal, prodigieux, rapide, renversant, saisissant, stupéfiant.
L'histoire : dans un accent wallon à couper au couteau, deux filles subissent le sexe en croyant se nourrir de framboises. Ceci n'est pas une pipe, c'est un conte moral sur l'immoralité des magazines de société télévisés.
Travellinckx (1999) est le court qui nous a fait découvrir Bouli réalisateur. Ce film reste un petit bijou, digne de l'humour d'un Preston Sturges (juste le contraire de celui de Frank Capra), ou, plus proche de nous, digne des frères Coen. Un hypocondriaque adresse à ses parents qui ne l'aimait pas, un testament vidéo. Apprenant, par la radio de sa voiture, la fuite de Dutroux, il hurle sa haine d'être Belge et fonce au domicile des parents Russo pour leur sauver la vie. Bizarre, curieux, déconcertant etc., on redémarre dans la série d'adjectifs.