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Entretien avec le comédien Sam Louwyck

Publié le 06/04/2018 par Fred Arends / Catégorie: Entrevue

Ô Capitaine, mon capitaine

Découvert en danseur agité dans le fabuleux clip « Theme from Turnpike » de dEUS(1996) Sam Louwyck a depuis tourné tous azimuts, explorant des univers et des rôles variés et multiples. De Michael Roskam (Tête de Boeuf, 2011) aux Merveilles de Alicia Rohrwacher (2014) en passant par Keeper de Guillaume Senez (2015) ou La Cinquième saison de Peter Brosens et Jessica Woodworth (2012), il avance à l'instinct et à l'audace. N'hésitant pas à soutenir de jeunes talents (second rôle dans Baden Baden de Rachel Lang, voix dans Wildebeest, court-métrage d'animation), il interprète l'inquiétant et ambigu Capitaine qui prend en charge les garçons sauvages dans le film de Bertrand Mandico. Rencontre au bar du cinéma Nova, dans un décor du film magnifiquement reconstitué.

Cinergie : Comment avez-vous rejoint ce projet un peu dingue et très singulier dans le cinéma ?
Sam Louwyck
: J'ai rencontré Bertand (Mandico) il y a déjà quelques années avant la réalisation de ce projet. Pour moi, ce n'était donc pas bizarre même si c'était quelque chose de nouveau, un défi. Nous avions déjà travaillé sur un autre projet qui ne s'est pas encore fait mais qui est très beau...
Un jour, Bertrand m'a proposé ce film et j'ai tout de suite accepté car j'avais hâte de travailler avec lui.

C. : Comment vous-êtes vous intégré à l'univers très visuel de Bertrand Mandico ?
S.L.
: J'ai bien écouté ! Quand on travaille avec quelqu'un qui a un univers si spécifique, il faut juste écouter. Je n'ai pas peur de “morpher” mon esprit pour m'adapter et j'adore ce monde tordu, très inventif. J'étais vraiment à l'écoute pour pouvoir entrer dans son monde et libérer le mien.

C. : Comment avez-vous abordé le personnage du Capitaine ? 
S.L. : Parfois de manière extrême. Pour moi, c'est un personnage un peu rude, raide. Mais pas seulement. Je crois que chez Bertrand, aucun personnage n'est tout blanc ou tout noir, il y a toujours une palette que l'on doit chercher. Donc, je l'ai joué d'abord raide mais j'ai pu aussi l'adoucir, et l'affaiblir.

C: De fait, ce n'est pas un roc. Il y a une vraie évolution du personnage.
S.L.
 : Oui, ce n'est pas très intéressant quand on est dans un tel univers, d'être d'un seul bloc, sans failles. Il faut toujours chercher, dans les vagues, les tempêtes mais aussi dans le calme.
Une grande partie de la force des personnages vient de l'illusion. Ce monde d'illusion donne la liberté d’être plus fort ou plus faible.

C: Aviez-vous des modèles pour le Capitaine. On peut parfois penser à un capitaine Haddock trash ?
S.L. 
: Non, je ne travaille jamais sur un personnage ou une personne que je connais. Je fais vraiment un mélange du passé, de mes recherches et de ce que je suis, dans ma vie, à ce moment-là.

C: Comment s'est déroulé le tournage ? Etait-ce physique ? Comment le son en post-synchronisation a-t-il influencé le jeu ?
S.L.
 : Même si nous étions sur une île paradisiaque, c'était souvent très physique. Le son post-synchro donne aussi une grande liberté et participe à l'illusion mise en place. Côté physique, l'eau était froide, la nuit il y avait souvent plein de bestioles. Mais c'était à la Réunion qui n'est pas non plus une île trop dure même si ce sont les Tropiques et qu'il fait chaud, froid, humide. Parfois, c'était éprouvant. Par exemple, Bertand avait expérimenté du lait tourné sur le manteau du capitaine pour obtenir une texture et un contraste spécifiques mais après, je ne pouvais plus jouer, tellement ce manteau sentait le pourri ! Mais sinon, on n'avait pas trop à se plaindre. C'était un tournage où on a beaucoup essayé, expérimenté.

C. : Comment cela s’est-il passé avec les 5 interprètes des garçons sauvages ? Avez-vous créé un esprit d'équipe ?
S.L.
 : C'était ça qui était difficile. Ils devaient être très soudées et moi, je suis quand même un peu en dehors. C'était un peu bizarre parfois. J'aime beaucoup rester dans mon rapport avec le personnage même en dehors des prises, où je m'isole un peu du reste mais là, sur l'île, ce n'était pas vraiment possible.

C. : Le Capitaine connaît une évolution. Au départ assez dur, on le découvre plus faible lors de l'arrivée dans l'île et dans son rapport avec le personnage de Séverin (Elina Löwensohn) qui le domine. Comment avez-vous joué cette rupture ?
S.L. 
: J'ai coupé le monde des garçons sauvages avec celui de Séverin même s'il y a une contamination entre les deux… On ne peut pas couper radicalement non plus. J'ai essayé de couper tout en maintenant cette liaison.

C. : Vous attendiez-vous au résultat tel qu'il est ? Bertrand vous avait-il donné une idée du résultat, notamment visuellement ?
S.L. 
: Je connaissais déjà le monde de Bertrand, c'est une grande surprise de se retrouver dedans. Sur le plan texture, il y a plein de nouveautés à chaque fois car Bertrand évolue très vite. Techniquement, quand on parle du super 16 par exemple, j'avais des attentes, sur le côté organique notamment et le résultat est très surprenant.
Ce qui est toujours beau dans des œuvres comme celles-ci, c'est la liberté donnée au spectateur de choisir ce dont il a besoin. Et, il verra des choses différentes d'une vision à l'autre, en fonction de ses besoins. Je crois que c'est une œuvre qui est suffisamment forte, pesante dans le sens qu'elle a du poids, pour donner cette liberté au spectateur.

C. : Vous êtes un comédien très éclectique. Vous jouez des choses très différentes dans des univers très variés, des seconds rôles, des formats… Comment choisissez-vous ?
S.L.
 : À la base, c'est l'instinct. J'ai une curiosité enfantine et l'instinct est primordial. Je fais des choses très variées car c'est un métier où il faut toujours apprendre. On peut avoir du talent mais après, ça se travaille et je n'ai pas peur de travailler  car j'aime profondément ce medium et si je veux respecter ce que j'aime, il faut travailler, entamer des choses différentes.

C. : Êtes-vous beaucoup sollicité ? Vous avez beaucoup de projets dont encore un film américain, Mandy (avec Nicolas Cage).
S.L 
: Ah oui mais on m'a coupé dans Mandy! C'est dommage mais quand j'ai vu le film, je me suis dit qu'il n'y avait pas de place pour ce personnage et je comprends tout à fait. Il faut savoir ne pas être égoïste.

C. : Le métier d'acteur est souvent narcissique...
S.L. 
: Oui et c'est très bien qu'on te coupe parfois pour contrer ce narcissisme car sinon, tu restes dedans. Et c'est très facile d'y rester surtout quand tu es sollicité, qu'on te fait plein de compliments. Et ça empêche d'évoluer. Bien sûr, cela peut faire du mal (d'être coupé), je ne suis pas un robot. Mais bon, dans le cas de Mandy, le réalisateur était très content et c'était très bien d'avoir pu jouer face à face avec Nicolas (Cage) mais d'autres choses arrivent dans lesquelles on ne pourra pas me couper sinon, il n'y a plus de film !
Il y a un western que j'ai tourné l'année passée avec John Cusack (sortie prévue en 2019) et on s'est régalé. Là, je viens de terminer un film avec Jean-Claude Van Damme qui sortira fin août et je vais tourner avec Zoé Wittock (Jumbo, son premier long-métrage, ndlr).

C. : Et le projet avec Bertrand...
S.L 
: Oui avec plaisir ! Nous en avons déjà parlé et c'est un projet auquel je crois beaucoup. Bertrand est très important pour moi, comme personne, artiste et créateur. C'est un homme de grand cœur et je le mets très haut dans mon cercle de proches... Il peut me demander ce qu'il veut, je le fais, mais bon, il ne faut pas lui dire, sinon il va me demander des choses impossibles.

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