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Rencontre avec Rachel Lang à propos de Baden Baden

Publié le 09/05/2016 par Anne Feuillère / Catégorie: Entrevue

Tomber, se relever...

Rachel Lang signe un premier long-métrage tout en finesse, doucement burlesque, une histoire de fille paumée en quête d'elle-même où il est question de voiture de luxe volée, de carrelage et de robinet, de shorts, de douches et de grand-mère... Un premier film en forme d'errance intime, à cheval entre Desplechin et Tati.... Dans ce rôle de paumée fragile mais déterminée, elle retrouve Salomé Richard, sorte de double à l'écran qui parcourt cette courte filmographie de sa silhouette longiligne et androgyne. Rachel Lang, mince et les cheveux très courts, ressemble beaucoup à son personnage. Et dans la vie, les deux femmes ne font pas miroir, mais leur complicité est palpable.

Cinergie : Baden Baden semble le développement de ton second court-métrage, ton film précédent, Les navets blancs empêchent de dormir. On retrouve le même personnage, Ana, dans les mêmes difficultés à rompre.
Rachel Lang : Ce n'est pas vraiment un développement. J'avais conçu les trois films ensemble, comme un triptyque dont Baden Baden est le troisième volet. Le triptyque dans son ensemble raconte le passage à l'âge adulte de ce personnage qui essaie de grandir, qui se prend des claques, mais tente de devenir un Homme, avec un grand H. Et comme il s'agit du même personnage et que ça s'était très bien passé avec Salomé sur le premier court-métrage, Pour toi je ferai bataille, nous avons continué à travailler ensemble en pensant les trois films comme une unité.

 

C. : Le titre de ton film à nouveau est un peu mystérieux.
R.L. : C'est un peu mystérieux, oui. Et rebondissant. C'est la métaphore de la baignoire, de l'eau, du récipient qui parcourt le film. Baden Baden est une ville thermale en Allemagne. C'est aussi la fausse promesse du film. On y entre en pensant qu'on va partir là-bas, mais on sort du film, tourné vers Aubagne. Ce titre représente aussi un peu tous les chemins, toutes les directions possibles.

 

C. : Comment résumerais-tu le film ?
Salomé Richard : C'est l'histoire d'une fille qui décide de prendre sa vie en main.
R.L. : L’élément déclencheur du film, c'est qu'elle échoue à faire son travail correctement. Elle n'a pas réussi à trouver son chemin. Elle fait partie de cette génération qui ne trouve pas de reconnaissance sociale par le travail, qui ne fait que des jobs par-ci par-là, qui n'a pas de vraie formation ou d'aptitude... Le film part de cet échec. Et puis, elle va expérimenter, chercher. Elle se prend des claques mais avance quand même, elle fait des expériences et grandit au fur et à mesure des rencontres qu'elle fait.

 

C. : C'est un personnage de femme très libre, qui se fiche des apparences, androgyne, qui transgresse toutes sortes de limites sans même s'en rendre compte...
R.L. : J'avais très envie que ce personnage soit un individu avant d'être la représentante d'un genre. Ni homme ni femme, mais un individu avant tout. Je trouve ça plus riche dans la vie en général de pouvoir passer la frontière, de passer d'un sexe à l'autre en fonction des situations. Je ne vois pas pourquoi une femme ne pourrait pas conduire une voiture de sport ou faire de la plomberie. J'ai eu envie de donner beaucoup de liberté à mon personnage. Et puis, je n'ai pas de problèmes de morale, il n'y a pour moi que des questions éthiques : « Qu'est-ce qui lui convient, qu'est-ce qui ne lui convient pas, qu'est-ce qui va marcher, qu'est-ce qui ne va pas marcher, qu'est-ce qui va lui faire du mal, du bien etc. » C'est en ce sens qu'elle essaie de gagner en liberté, qu'elle grandit.

 

Salomé Richard et Rachel Lang © Cinergie

 

C.: Tu dirais que c'est un film féministe ?
R.L.: Non, ni féministe ni militant. Mais on fait souvent remarquer que c'est rare de voir un tel personnage de femme au cinéma. Je suis d'accord. Mais il me semble pourtant très représentatif de notre génération et pas si inédit. C'est peut être inédit au cinéma, de montrer une femme comme celle-là, mais j'ai l'impression que ça parle de notre génération. Les femmes se permettent de plus en plus ces libertés et tentent d'être des individus avant d'être des représentantes de leurs sexes.
S.L : C'est un personnage indéniablement féminin qui tente de se construire en tant qu'individu sans être cantonné à quoi que ce soit, un genre, un âge... Effectivement, ce n'est pas un film qui revendique quoi que ce soit. Mais il y a peu de films faits par des femmes dont le personnage principal est aussi une femme, ici assez libre, qui fait des trucs pas particulièrement genrés. Il y a peu de modèles. C'est bien que ce film existe. Il donne à voir des choses qui sont pour moi importantes, que ma petite soeur peut voir en se disant « Ah oui, on peut être une femme comme ça et je ne suis pas obligée de me cantonner à cette féminité-là ou cette idée-là que je me fais d'être une femme »... Cette fille ne se laisse pas abattre, mais tente de chercher et d'admettre ce qui lui semble bon et non des choses convenus. C'est un personnage assez séduisant, réjouissant à jouer. La posture philosophique du film, cette idée de gagner en force, en joie, me plaît beaucoup.

 

C. : Ce film s'inspire de vos parcours de femmes ?
R.L. : Pas particulièrement. Plutôt de plein de parcours observés à droite à gauche. La grand-mère est écrite à partir de trois grand-mères, par exemple. Mes deux grand-mères et celle de mon compagnon. Je n'ai pas volé de voiture de sport (sourires). J'ai extrapolé, à partir ce que j'ai vu, entendu ou vécu. Je suis partie de situations signifiantes que j'ai tirées ensuite d'un côté ou de l'autre pour écrire ce parcours-là.

 

C.: Comment travailles-tu avec les comédiens ? Par instant, le film semble presque improvisé.
R.L. :Avec le personnage de Lazare, il y a eu des improvisations en amont du tournage qui ont été réécrites ensuite. Rien n'est improvisé, à part la séquence de la douche où ils se choppent dans le Formule 1 qui est une séquence de situation. Le film est très écrit. J'écris, puis je retravaille mes dialogues avec les comédiens pour qu'ils sonnent bien, qu'ils soient bien dits, j'essaie de voir ce qu'ils peuvent dire, comment ils peuvent le dire pour l'arranger ensuite, pour que ça sonne juste, comme dans la vie.

 

Rachel Lang © Cinergie

 

C. : Ton film est construit de plein d'ellipses, de pleins de petites saynètes. Est-ce aussi quelque chose que tu élabores dès le scénario ?
R.L : Oui, ces ellipses sont vraiment à l'écriture. Au montage, elles peuvent changer de nature, mais cela n'arrive pas tant que ça finalement. L'idée est de créer des blocs, des saynètes comme tu dis, le plus souvent des plans séquences qui fassent bloc et où il se passe une seule chose. Puis, il s'agit au montage de confronter ces blocs, de les faire se rencontrer entre eux pour les faire éventuellement bouger, dialoguer.

 

C. : Tu choisis aussi quelques éléments narratifs très épurés que tu tires tout au long du film, comme celui de la voiture ou de la douche par exemple.
R.L. : De nombreux motifs ressurgissent dans différents blocs et permettent de voir comment le personnage principal les utilise en fonction de ses interlocuteurs. Et la voiture est aussi une fausse piste, sans vouloir tout dévoiler du film...

 

C. : Comment as-tu conçu ces séquences oniriques ?
R.L. : Le personnage de Boris est un artiste contemporain, (d'ailleurs, c'est le travail du cinéaste et plasticien Clément Cogitore que nous avons filmé à Strasbourg). J'avais envie que le personnage de Salomé ait lui aussi un espace de liberté, d'imagination et de création. Les séquences de la serre, l'hélicoptère au-dessus de la piscine, c'est aussi ce qu'elle peut créer. Elle n'est pas qu'une looseuse qui se prend des portes, qui cherche et qui ne trouve pas. Tout le monde, a cet espace de liberté et d'imagination dans lequel on peut trouver plein de forces.

 

C. Ton univers est assez proche d'une veine comique du cinéma français, un peu absurde et burlesque comme Bruno Podalydès, Pascal Bonitzer ou Arnaud Desplechin. Par moment, il prend même des airs à la Tati.
R.L. : J'aime beaucoup Desplechin oui. Comment je me suis disputé est un film qui a beaucoup compté. Mais je ne connais pas bien les autres (rires). Et j'aime bien sûr beaucoup Jacques Tati. C'est une leçon de burlesque, Tati. Quand j'écris pour le comédien qui joue le personnage de Grégoire, je pense forcément à ce cinéma-là. Mais ce n'est pas conscient tout ça quand on écrit, ce sont des résurgences. Je ne suis pas du tout une théoricienne du cinéma. J'ai été baignée de choses et d'autres, je n'ai pas de référence, de drapeau, de Dieu. J'ai découvert le cinéma assez tard. Ce sont plutôt des choses très hétéroclites qui ont compté pour moi dans mon éducation cinématographique. Pialat par exemple, le Pialat d'À nos amours, les premiers Jarmusch, avec Stranger Than Paradise, ou les films du roumain Lucien Pintille... Ce sont des films qui m'ont nourrie.

 

C. : Ton film est très réjouissant dans sa manière de tenir à bout de bras plusieurs genres. Il est habité par de multiples tensions, entre l'échec et la bravoure, le comique et le tragique, le réalisme et l'onirique. Tu tiens en quelque sorte des grands-écarts.
R.L : Oui, c'est le but, tenir ces grands-écarts entre deux affects extrêmes : tout à coup, la grande joie, tout à coup la grande tristesse... Mais toujours en faisant un petit pas de côté, de sorte qu'on trouve un peu de drôlerie dans les moments durs, un peu de tragique dans le comique...

 

C. : Quel est le lien qui unit Amar à Ana à la fin du film ?
S.L. : Il lui donne de la force.
R.L. : Elle, elle est en train d'expérimenter, d'hésiter, c'est très riche et beau. Lui, il est un véritable contrepoint : il a choisi, il a fait un vrai choix, hyper radical. Sans jugement moral, elle le regarde et l'admire. Elle trouve de la force en lui.

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