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Felix van Groeningen - The Broken Circle Breakdown

Publié le 15/10/2012 par Anne Feuillère / Catégorie: Entrevue

Quand on rencontre Félix van Groeningen, ouvert, joyeux, toujours prêt à rire, on s’étonne un peu. The Broken Circle Breakdown est un mélodrame au sens le plus classique, où rien ne nous sera épargné du bonheur piétiné et des destinées tragiques. Mais peu à peu, les contradictions se dénouent, l’interview se teinte de profondeur et d’une certaine gravité tandis que s’explique la douceur du film. 

Cinergie : Qu'est-ce qui vous a touché dans cette pièce de théâtre pour que vous vouliez la porter à l'écran ? 
Felix van Groeningen : Beaucoup de choses ! (rires). Quand je l'ai vue pour la première fois, je l'ai trouvée vraiment géniale, pas dans le sens du mot « cool », dans celui du génie. Tous les éléments fonctionnaient parfaitement ensemble et le tout atteignait beaucoup de grandeur. Et puis, cette pièce m'a fait faire, en termes d'émotions, une sorte de tour du monde (rires) ! Ça commence de manière assez drôle, comme un concert, avec des musiciens qui jouent, puis se mettent à raconter leur histoire. Et on comprend qu'il s'agit d'un couple, on comprend qu'ils ont perdu un enfant et ça continue toujours plus avant, tout va de plus en plus loin. Comment cet homme et cette femme vont digérer ce malheur, et pourquoi ne se retrouvent-ils pas ? C'est ce qui m'a touché autant dans cette pièce. J'ai commencé à pleurer au bout d'une demi-heure, et je n'ai plus pu m'arrêter… Et ça dure une heure et demi (rires) ! Ce n'est pas un moment qui m’a touché, mais tout l'ensemble de la pièce et sa construction. La musique donne de temps en temps un moment pour respirer et puis ça repart. Quand j’ai vu la pièce pour la première fois, je l'ai trouvée incroyable et j'ai pensé l'adapter. Et puis, je l'ai revue et je me suis dit « Non, je ne vais pas le faire ». Et six mois encore après, je l'ai à nouveau revue, j'ai relu le texte et à un moment donné je me suis dit que j’allais le faire... Mais parce que c'était vraiment génial.

C. : Qu'est-ce qui semblait si difficile à adapter ?
the broken circle breakdown, un film de Félix van GroeningenF.V.G. : Je crois qu'il faut voir la pièce pour comprendre, elle est tellement bien faite ! Certaines personnes qui l'ont vue ne comprennent pas qu’on puisse en faire un film, et d'autres qui voient le film s'étonnent que cela puisse être l'adaptation d'une pièce de théâtre... Moi-même, quand je l'ai vue, je n’imaginais pas qu'une pièce de théâtre pouvait me faire cet effet, avoir tant de réalité, tout en étant si simple, si parfaite.

C. : Quels étaient les enjeux pour vous en termes de cinéma ?
F.V.G. : La combinaison entre cette histoire d'amour très dure et la musique, qui est très très importante dans ce film… Ça me semblait très difficile. Quand j'ai commencé, je ne savais pas très bien ce que j'allais faire. Est-ce que j'allais réaliser un « musical » ? Autre chose ? C'était ça le défi pour moi, ce qui me faisait un peu peur au début. Après, j'ai vu dans cette histoire la possibilité de faire beaucoup de belles choses cinématographiquement. Le fait qu'un des personnages adore les Etats-Unis, par exemple, comment cela entre le film, ce qu’on peut en faire.

C. : Les Etats-Unis et la musique sont deux choses qui reviennent dans tous vos films. La musique y occupe une place très importante jusqu'à devenir ici le sujet du film...
F.V.G. : Oui, on peut dire ça... Pour les Etats-Unis, ce n'est pas mon histoire, mais celle de mon personnage. Mais c'est vrai que cet imaginaire occupe une place importante, surtout dans mon premier film, dont l'esthétique était, on peut le dire comme ça, américaine. Peut-être que c'est quelque chose en moi que j'explorerais dans un autre film (rires) !

C. : Quand vous filmez l'amour, vous êtes dans un univers assez contrasté, plus pop et rock'n'roll, il me semble, que lorsqu’on aborde la maladie, où la caméra paraît plus discrète, plus sobre.Comme s'il y avait là d'un côté l'imaginaire, fou, libre et joyeux et de l'autre, la réalité, difficile et tragique.
the broken circle breakdown, un film de Félix van GroeningenF.V.G. : Hum... euh (rires). Je pense que j’ai tout fait pour me rapprocher avec ce film de mon désir de faire du cinéma, pour la première fois je pense. Mes autres films sont beaucoup plus crus. J’ai mis ici beaucoup d’énergie dans l’esthétique du film, j’ai voulu faire des plans très très beaux, lents, avec de très beaux mouvements de caméra, et non pas une caméra à l’épaule, dans l’action. C’est ce que j’appelle du cinéma (rires) ! Dans les scènes de concerts aussi, on a essayé de faire du cinéma. Je parle peut-être de cinéma américain… Mais en tous cas, je n’avais jamais eu envie de faire ça avant. Même dans mon premier film où, s’il y avait aussi une influence américaine, elle était plutôt dans ma manière de donner de l’importance à l’extérieur, à l’architecture.... Il ne s’agissait pas d’aller très lentement sur un personnage ou de se demander où mettre la lumière. Là, je crois qu’on a choisi de faire du cinéma « classique ». Dans toutes les scènes autour de la maladie, la seule différence, c’est qu’on n’a pas fait de mouvement de caméra. On a mis aussi beaucoup d’énergie à chercher un endroit esthétique. L’hôpital n’est pas beau, mais il est esthétique. Il y a beaucoup de couleurs, beaucoup de verres et de lumières. Par contre, oui, il y a très peu de mouvements de caméra.

the broken circle breakdown, un film de Félix van GroeningenC. : La caméra rend le film très fluide, et le montage en déconstruit la chronologie, cela lui donne une forme de légèreté qui contraste beaucoup avec son sujet.
F.V.G : L’idée était de provoquer le sentiment d’un voyage, d’un trip, de ne pas savoir où l’on est, mais de rester proche des émotions. Au montage, on a arrêté de suivre le scénario, on s’est rendu compte que ce n’était pas la bonne façon de monter le film. Dans le scénario, il y avait trois périodes qui étaient racontées, et l’on sautait de l’une à l’autre. Cela fonctionnait sur papier, mais plus du tout au montage Et on a recommencé, avec des petites cartes, comme on fait au scénario, on a tout repris (rires). Peut-être que justement, il y aurait eu un peu trop de légèreté si on avait monté différemment. Très vite, on était au plus près du problème, de cet enfant malade. C’était important qu’à un certain moment, on comprenne que la joie, l’amour, ce couple très très rock’n’roll, leur rencontre, ça n’allait plus être aussi gai. C’est aussi l’effet que la pièce a eu sur moi, ce sentiment que les émotions vont toujours plus loin, plus haut.

C. : En tant que mélodrame, le film s’inscrit clairement dans un genre.
F.V.G. : Oui, j’ai fait un mélodrame, je n’ai pas de problème avec ça, je n’ai pas peur des grandes émotions, mais je ne crois pas que ce soit un mélodrame classique. Et puis la musique est très importante.

C. : C’est ce qui nous sauve ?
F.V.G. : C’est ce qui nous donne le courage de continuer…parfois (rires) ! Ça soulage beaucoup, dans les grands moments, à la mort de quelqu’un…C’est ce qui peut nous sauver, oui. Et la croyance !

C. : Le titre du film vient de cette chanson « Will The Circle Be Unbroken ? »
F.V.G. : Oui. C’est l’histoire de quelqu’un qui a perdu sa mère et se demande, si, quand il sera mort, ils se retrouveront dans le ciel. Si Elise ne pense pas que le cercle sera brisé, lui, il en est convaincu. Mais à la fin, on ne sait plus trop, peut-être veut-il bien le croire, par amour pour elle (rires)… Johan, qui joue le personnage de Didier, a écrit la pièce quand il a vu Bush, en 2006, s’opposer à des essais scientifiques sur les cellules souches pour des raisons religieuses. Cela l’a mis en rage qu’on puisse s’opposer à la science, qui pourrait sauver des vies, pour ces raisons-là. Il a découvert cette musique, qu’il a trouvée super belle, et il a construit toute la pièce de théâtre autour des paroles des chansons.

C. : C’est lui qui chante et joue dans le film ?
F.V.G. : Il chante, oui et dans la pièce il jouait aussi du banjo, mais pour le film, il n’était pas assez bon (rires) !

C. : Est-ce qu’on peut dire que comme la foi sauve plus ou moins Elise, que la musique sauve Didier, le cinéma n’est pas pour vous ce qui rend la vie et le réel plus beaux ?
F.V.G : Oui, en voyant des films super beaux, cela me donne le courage de continuer. Même s’ils sont parfois super tristes aussi. Ça peut rendre les choses très très claires, cristalliser des idées ou des émotions… Oui, c’est vrai.

C. : N’est-ce pas un peu ce que fait votre cinéma ? Steve + Sky, c’était une histoire assez dure ; Danger Zonder Lief, une histoire plutôt triste ; La Mertitude des choses s’emparait de gens qu’on n’aurait pas aimés d’instinct… Á chaque fois, vous filmez cela d’une manière très tendre, très douce, très belle, comme si le cinéma était là pour rendre les choses plus supportables…
F.V.G. : Oui... Oui, c’est comme ça…Pendant un an et demi, je suis à l’écriture, je suis dans ces émotions, puis, je le fais. Peut-être que c’est une manière pour moi de digérer des choses que j’ai vécues et auxquelles je ne sais pas donner une place. Et puis, en le faisant, en écrivant le scénario, je peux me laisser aller dans ces émotions, mais ce n’est pas dangereux… Parce que ça n’est qu’une histoire… (rires).

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