Kiev s’éveille et se déroule doucement au son des rêves de trois jeunes gens : Vania, Denski et Saniok. Au fil des journées et des nuits qui sont les leurs, les réalisatrices Caroline Guimbal et Léa Tonnaire les accompagnent et nous emmènent à la découverte d’une génération perdue de l’Ukraine. Une génération dans la trentaine, désabusée, rompue par la corruption, par la guerre et par la pauvreté, qui tente malgré tout de s’en sortir et de continuer à croire en la vie. Une existence qui tient dans l’instant présent, à la recherche d’un avenir incertain.
Il fait nuit dehors, un documentaire de Caroline Guimbal et Léa Tonnaire
L’envie est grande pour ces personnages de s’évader du monde réel, de rester dans ce rêve sur lequel s’ouvre le film avec une physicalité palpable. Au plus proche de leurs personnages, les réalisatrices capturent le vague à l’âme de Vania, la solitude de Denski, les réflexions tourmentées de Saniok, et ce dès la première image. Un œil semblant vaciller entre rêve et réalité, entre cauchemar et évasion, pour finalement se réveiller sur une nouvelle journée avec ce qu’elle apporte de meilleur comme de pire dans leur vie.
Chacun à leur manière, les trois jeunes hommes affrontent la dureté et la vacuité de l’existence. Vania, le premier protagoniste, nous plonge avec lui au-delà de la réalité dans ce rêve éveillé qui lui permet de survivre. En nous emportant nous aussi dans ce tournoiement de sons et de lumières, le film joue avec nos sens et nous entraîne au plus près de l’état second atteint par le personnage.
Denski, lui, se montre plus farouche. C’est son alter ego que nous découvrons d’abord, une personnalité qu’il affiche, un masque avec lequel il se met en scène, sorte de punk des temps modernes qui feint l’indifférence et s’en sert comme d’un bouclier. Quand la caméra le quitte par contre, on découvre petit à petit son autre personnalité. Celle plus solitaire, triste, d’un homme vivant une existence esseulée.
Sacha, le plus atteint physiquement par la vie, a de son côté quasiment perdu la vue suite à un manque de soins en prison. Malgré tout, lui aussi tente d’aller de l’avant. « On atteint pas le sommet en un jour, mais combien de temps va-t-on encore ramper sur le fond ? », questionne-t-il avec un cynisme teinté d’amertume. Les saisons, le temps, la vie ne les attendent pas. Le quartier dévore ses habitants, et Vania, Denski et Saniok n’échappent pas à la règle.
Trois personnages ballottés par la vie comme Vania balloté par le train qui l’emporte retrouver ses amis. Des amis qui sont sa force et sa bouée de sauvetage, face aux éléments immuables qui continuent d’avancer autour de lui. Entre chien et loup, les trois hommes réfléchissent, philosophent sur ce qu’est la vie, la mort, sur leur raison d’être, une bière à la main.
Une scène d’une humanité simple mais profonde à la fois et révélatrice de sentiments que les réalisatrices captent avec talent. Malmenés, secoués, mais toujours debout grâce à leur amitié, les trois personnages font preuve d’une détermination forte. Malgré tout, ils sont portés par leur soif de vivre, leur croyance en l’avenir, et par une volonté ferme de contempler ce qu’ils ont plutôt que de se languir de ce qu’ils n’ont pas. Vania se marie, Saniok préside la cérémonie à laquelle assiste Denski, les trois amis rient, discutent, échangent sur leurs expériences. Autant que possible, ils trouvent le bonheur qu’ils peuvent dans un monde qui bascule, un monde toujours en mouvement. Un monde d’images, de souvenirs et d’expériences qui prend vie par leurs récits, et où chacun doit contempler ses peurs, où chacun doit affronter ses propres fantômes pour pouvoir aller de l’avant. Mais un monde où être ensemble peut aussi signifier la force et où, ils en sont persuadés, un nouveau jour succèdera à la nuit.