Le cinéma belge est-il devenu Lady Gaga ?
1. Le grand loup et le petit chaperon rouge ou les délires de la com’.
2. Y a-t-il encore un spectateur bruxellois dans la salle ?
1. Le grand loup et le petit chaperon rouge ou les délires de la com’.
2. Y a-t-il encore un spectateur bruxellois dans la salle ?
Casting bling bling.
Casting, mon beau souci.
Les acteurs et actrices nous l'écrivent et nous le disent souvent : « Toute expérience est bonne à prendre, et passer du théâtre au face caméra, nous intéresse ». Certes, mais de là à en jouer comme dans le film Je suis curieuse ou le petit chaperon rouge, il y a quelques nuances…
Sur notre site, nous diffusons des annonces via des emails. On nous confie ensuite que certains castings sont complètement bidons selon deux systèmes bien rodés. Soit les plus malins tournent avec une petite DV-Cam sur un pied photographique des scènes au texte d'un réalisateur pas très convaincant, juste pour faire une expérience qui peut conduire à une école de cinéma, ou pour exprimer son désir vis-à-vis du corps, un peu déshabillé, mais pas nécessairement nu. Soit on enregistre une K7 qu'on va confier à des producteurs (qu'on connaît vachement bien, of course) en demandant 50 ou 100 euros pour l’enregistrement. C'est rentable, oui, oui ! Vous comprenez mieux la pyramide de l'astuce.
Que faire lorsque vous avez choisi d'être comédien plutôt que réal ou technicien, devant le feu de la lumière des projecteurs et non derrière la caméra ? Etre sans cesse entre l'être et le paraître… Choisir qu'on se serve de l'empreinte de votre corps sur les écrans ou de votre voix en doublage ? Autrement dit que faire (disait Lénine), sinon sourire lorsque la maquilleuse vous traite comme un bébé, de grand matin, sur le plateau (si un comédien pète les plombs c'est la cata assurée, un technicien, on le remplace, pas un acteur). Bien, bien, mais tel Jules César, vous avez passé le Rubicon qui peut vous mener à un réalisateur. Celui-ci peut vous choisir pour interpréter le rôle qu'il a imaginé avec un chef op’ qui vous chouchoute avec des lumières qui vous mettent en valeur. Là, on est dans le rêve ou l'idéal platonicien. Le parcours démarre souvent par la prod’, et si l’on n'est pas chez des producteurs connus, comment savoir si vous n'êtes pas face à une petite maison de production qui démarre ou, tout simplement, qui n'existe pas (vérifiez en entrant en contact avec l'Union des artistes, le CAS- Centre des arts scéniques). Et puis, il y a les risques des effets d'annonce. Aussi bling bling que cela soit, ça passe sans trace du moindre avenir, of course.
À une époque où le marketing domine la scène médiatique, on fait mieux encore, bisous, bisous les relous.Le Festival du film policier de Liège décide de réaliser, en 2009, « Carrefour des comédiens » à partir d'un casting hyper vague, mais mirobolant, puisque le gagnant du Prix obtiendra de jouer dans un film avec Benoît Poelvoorde (waaaouuuh) produit par Dominique Janne (carrément!). Disons-le, cette annonce a fait rire toute la profession, mais visiblement pas les acteurs, ni le public (100 personnes ont voulu y participer). Marcha Van Boven, comédienne bruxelloise, diplômée de l'IAD, se lance dans l'aventure du monde animé des rêves. On l'a rencontrée : elle est loin d'être née de la dernière pluie. Elle a très vite pressenti le scénario possible, mais le petit chaperon rouge est toujours curieux des avances du grand loup caché derrière son capuchon.
Le scénario dessiné n’est pas loin d'un MacGuffin1 hitchcockien, et très proche d'une séquence digne des Marx Brothers. Sapristi, pristi !
Nous parlons avec Marcha pour capter l'essentiel des ficelles de ce fil rouge. La jeune comédienne nous explique qu'elle a passé les différentes sélections avec moult participants, et gagné le prix. Eurêka. Lors de la remise, on lui apprend que le film ne se fera pas. Donc, voilà Cédric Monnoye, le directeur du festival, Marcha, la gagnante, Miss Liège (chic alors), Victoria Abril pressentie et mystérieusement tombée malade ce jour-là, ainsi que Dominique Janne, qui est dans une autre zone horaire, et signale qu'il n'y aura pas de film (le monde du cinéma, c'est comme le monde de la bourse, ça monte et ça descend).
Ah la com’ ! (« Que ferais-je sans toi » dirait Aragon) ! On se le demande, d'autant que le monde tournerait sûrement mieux si la com’ (la sophistique, c'est-à-dire : la rhétorique étant plus importante que la vérité) n'était pas présentée dans les écoles comme un Eldorado pour se faire connaître, comme le remède absolu pour attirer le chaland, le buzz de la réussite rapide, sans récit ni saga, dans l'hyper monde des instantanés de l'espace planétaire. Heu, heu, voyons mon ami n'est-on pas dans le business planétaire, oui ou non ?Sorry, my dear.
Business, business… Cela tombe bien, puisqu'il s'agit de l'enjeu des sorties de salles des films de chez nous, principalement à Bruxelles, capitale de l'Europe. Tandis que nos yeux sont captés par l'écran de nos nuits blanches du cinéma, nos oreilles ne cessent d'entendre la plainte des familles du cinéma sur l'impossibilité de montrer leur film. Les salles oient mal ce timbre de voix, et nous offrent ce vieux discours : « Nous recherchons le plus large public, et celui-ci ne se déplace que pour voir de grands spectacles ». Sauf que LE public n'existe pas (TF1 vient de s'en rendre compte, en voyant chuter son audience, grâce à Internet), pas plus que LA femme : il y a des publics et des femmes (ouf !).
À huit euros la place, on peut comprendre les réticences, même pour les passionnés de cinéma belge. Un certain public attend donc quatre mois la sortie en Disc-DVD, en Blu-ray disc ou en VOD sur Internet (pour les moralistes qui refusent la polissonnerie perverse de la gratuité).
Les exploitants de nos salles « multi-complexes » sont-ils victimes du syndrome du suicide ? Certes, la gratuité d'Internet est un véritable trauma qui pose la question de « mais où est donc le réel par rapport à la réalité qui circule toutes voiles dehors ? » Mais le trauma oblige précisément à être créatif par rapport à un ratio économique basé sur l'accélération de la marchandisation culturelle via une technologie présentée comme étant sans faille.
La 3D, parlons-en ! Le super-héros des cartoons années cinquante arrive avec deux possibilités – ciel, l'autre de mon double – les lunettes actives (électroniques sur les montures) et les lunettes passives (celles d'aujourd'hui et d'hier). Sacrée aubaine pour les opticiens qui vont également voir leurs chiffres filer vers le haut afin d'augmenter leurs profits (restons dans la grammaire idéologique néo-libérale).
Mieux encore, chers spectateurs, bloquons la transmission, transformons les hommes en automates (1), dopons les profits avec moins d'offre. Autrement dit, sans guichets pour avoir une place, mais à l'aide d'écrans d'ordinateurs afin de l'obtenir automatiquement. Malgré la crise et le chômage qui s'accélèrent aussi, les apôtres du court terme et de l'accélération du temps, en virant les employés, espèrent obtenir des gains plus rapides. Désormais, les seniors, qui continuent à vivre dans un monde où les liens sociaux sont plus importants qu'un ticket d'entrée perçu automatiquement, peuvent aller voir ailleurs. Face à ces salles angoissantes, il reste le réseau des salles Art et essais boosté, saluons-le, par la Communauté française.
Revenons, avec légèreté, à la 3D, futur rêvé pour la marchandisation de la culture sur un fond d'inégalité exponentielle. En signalant tout de même combien il doit être traumatisant de n'avoir, dans son panier, que le seul progrès technologique de la 3D, tandis que le Disc-DVD et le Blu-ray ne cessent de progresser pour la vente de leurs produits dans le bac des Hypermarchés (plus que quatre mois d'attente, bientôt moins, comme en Amérique). Les salles vont-elles devenir les Christian Dior du cinéma ? Autrement dit, une très belle publicité, un parfum rare, pour vendre un film sur d'autres supports ? Ah, quel beau trip ! Hal-lu-ci-nant!
À tout hasard, nous proposons aux patrons de salles des multiplexes bruxellois d'aller chez un psychanalyste pour guérir de leurs traumatismes. Réponse : "Ça fait combien de billets à refiler à ces charlatans ?"
1. Walter Benjamin, L'Oeuvre d'art à l'époque de sa réductibilité technique, Folio-plus.