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Le Silence de Lorna

Publié le 03/04/2009 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD

Meilleur film de l'année 2008 pour les lecteurs des Cahiers du cinémaLe silence de Lorna connaît une seconde vie grâce à son édition en DVD. L'occasion de revoir ou de découvrir le meilleur film des Dardenne.

Le Silence de Lorna

Lorna (Arta Dobroshi), jeune Albanaise, épouse Claudy Moreau (Jérémie Renier), un jeune Belge héroïnomane afin d'accéder à la nationalité belge. Un mariage blanc qui permet à Lorna d'espérer obtenir un snack avec son amoureux secret. Claudy ignore que Lorna a passé un deal avec Fabio (Fabrizio Rongione), un mafieux dont la spécificité consiste à organiser de faux mariages contre de rondelettes sommes d'argent. Le mari camé - qui doit être éliminé par une overdose - disparu, Lorna est sensée lui choisir rapidement un successeur. Une nouvelle union, un nouveau mariage blanc est prévu par Fabio avec un mafieux russe pressé de devenir Belge et Européen. Prise au piège d'une immigration clandestine qui profite au business de filières mafieuses (because le durcissement des filières de l'Europe), Lorna craque. Est-elle devenue un bien, un produit de consommation acceptable au bon prix ou un être humain qui peut vivre ses désirs ? Amusons-nous, trois secondes, avec Lacan : « La morale du pouvoir, du service des biens, c'est : « Pour les désirs, vous repasserez. Qu’ils attendent. » (Lacan, Ethique de la psychanalyse, Séminaire VII, p.365).
Lorsque Claudy, qui ne cesse d'être angoissé d'être pris de crampes abominables, sort de l'hôpital, Lorna fait l'amour, pour la première fois, avec lui. Superbe scène, inattendue dans la stratégie qu'ont mise en place Fabio et Lorna. L'affect de Lorna va la contraindre à une pulsion amoureuse qui sera l'unique étreinte qu'elle ait avec Claudy, son mari. Une pulsion contre ses intérêts de rentabilité et d'argent comptable. L'idéologie régnante de la rentabilité à tout prix aurait amusé Freud. Cette chanson-là, il la connaissait et la nommait « l'infantile sans âge » (les insatiables névrosés du tout, tout de suite) ignorant le principe de réalité (la crise financière actuelle nous le démontre avec fracas – lire Le malaise dans la culture, éd. PUF).

Comme toujours, chez les Dardenne, on privilégie le corps, les gestes, les déambulations agitées des personnages (en un mot comme en cent, la vie tout simplement). Souvenons-nous que c'est le corps d'un nourrisson vendu par son père qui se joue, à la vie, à la mort, dans l'Enfant. C'est le corps de Lorna qui va interrompre le mariage inaccompli mais juteux du réseau mafieux, casser les rouages d'un système dont elle voulait tirer profit.
La rédemption est un autre thème majeur des brothers. Laura se croit enceinte de Claudy malgré le verdict échographique négatif du médecin. Le retour à l'humain via la maternité, la naissance d'un enfant à la vie, une autre vie. Son inconscient (il y a deux temps : le vécu conscient et le hors temps inconscient), lui fournit un autre langage, un sens, de la vie. Dès lors, l'humain surplombe l'état de détresse, le « désêtre » (Lacan, op.cit.).

Le silence de Lorna, comme tous les films des Dardenne depuis La Promesse, nous propose une vision du réel multiple et équivoque comme la vie. Un réel qui est l'authenticité physique de la vie, une caméra à fleur de peau. Ne jamais tricher, même lorsqu'il s'agit de décrire le mensonge ou l'artifice. Plus encore, il nous revient, ces phrases célèbres devenues de Gilles Deleuze : « Nous devons croire au corps, mais comme au germe de la vie, à la graine qui fait éclater les pavés, qui s'est conservée, perpétuée dans le saint suaire ou les bandelettes de la momie, et qui témoigne pour la vie, dans ce monde-ci tel qu'il est. Nous avons besoin d'une éthique ou d'une foi, ce qui fait rire les idiots; ce n'est pas un besoin de croire à autre chose, mais un besoin de croire à ce monde-ci, dont les idiots font partie ». (L'Image-Temps, cinéma 2, p. 225)
Les Dardenne sont-ils des jansénistes comme Robert Bresson (le Dieu caché) ? Non. Le silence de Lorna, ce superbe film, semble bien être une réponse à l'Argent, de Bresson où la rédemption n'existe pas. Comme pour le dernier film de Bresson, l'argent est le moteur, le fil rouge majeur du film des Dardenne (le premier plan du film nous montre les doigts de Lorna comptant l'argent qu'elle reçoit au guichet d'une banque). Lorsque Claudy lui confie son argent avant d'entrer à l'hôpital pour se désintoxiquer, elle lui court après. Dans les dernières pages de leur livre, Au dos de nos images 1991-2005 (éditions du Seuil, p.180), ils écrivent : « Pour le prochain film, peut-être une jeune femme qui a toutes les raisons d'être desespérée et qui continue de croire que tout est possible. Une croyante en quelque sorte, même si Dieu est mort » 

Bonus

Arta Dobroshi, nouvelle perle du cinéma des Dardenne, nous parle de sa rencontre avec les frères, mais surtout de la manière dont elle a incarné Lorna. « J'ai essayé de démarrer à zéro. Il m'importait peu qu'elle soit Albanaise, Française ou Turque. Pour moi, ce qui comptait, c'était de comprendre ses sentiments. Le week-end, après avoir nagé à la piscine pour me détendre, j'arpentais les rues que Lorna arpente. L'avantage est que l'on tournait chronologiquement. En travaillant, je me sentais totalement elle. C'est cette façon de travailler que j'aime. Une certaine fidélité avec le rôle ».

1.Une scène coupée du film avec 2 agents de quartier.

2. Le home-cinéma des frères Dardenne par Jean-Pierre Limousin pour Cinéma cinémas, la célèbre émission de Jeannine Bazin et André S. Labarthe.

3. Un très intelligent entretien de Jean-Pierre et Luc Dardenne par Solveig Anspach. Les frères nous parlent de la musique de Beethoven qui ponctue la fin du film. Une première. Ainsi que, autre première, de la scène d'amour entre Lorna et Claudy (Lorna redevient un être humain). Mais aussi, leur choix de tourner dans la continuité grâce à un producteur qui le leur a permis.


Le silence de Lorna de Luc et Jean-Pierre Dardenne, édité par Cinéart, distribué par Twin Pics. 

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