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Luka de Jessica Woodworth

Publié le 15/09/2023 par Malko Douglas Tolley / Catégorie: Critique

Luka s'inspire de Le désert des Tartares (1940) du romancier italien Dino Buzzati. Dans ce nouveau long-métrage de Jessica Woodworth (The Barefoot Emperor, King of the Belgians), le personnage principal est un jeune sniper prénommé Luka qui rêve de se battre contre un ennemi invisible venu du Nord dans un paysage désolé et post-apocalyptique. Pour ce faire, il décide de rejoindre le dernier bastion de la résistance, le légendaire Fort Kairos.

Luka de Jessica Woodworth

Le choix du noir et blanc ainsi que les paysages désertiques de l'Etna en Sicile renforcent l'intemporalité de l'histoire qui se situe dans un futur incertain. Luka relate l'impact d'un seul homme sur un système militaire séculaire et les traditions du Fort Kairos. Interprété avec brio par Jonas Smulders, un acteur amstellodamois, Luka est un sniper qui rejoint une sorte de congrégation militaire censée protéger le royaume du Sud de la menace venue du Nord. Ce camp d'hommes qui s’entraînent sans relâche face à un ennemi invisible depuis des générations est fermement tenu par un petit groupe d'individus détenteurs du pouvoir sur la majorité.

La devise absolue à fort Kairos est la suivante : « Obéissance. Endurance. Sacrifice ». Le dogmatisme qui y règne est comparable à celui des religieux les plus reclus et enfermés dans leurs doctrines séculaires. Les femmes sont bannies et l'immuabilité du quotidien des habitants dans ce lieu depuis des décennies démontre la puissance d'une organisation hiérarchique rigide pour maintenir le statu quo. Certains marqueront une prudence nécessaire tandis que d'autres évoqueront une paralysie totale lorsque des règles strictes empêchent toutes formes d'évolutions de la société dans laquelle on vit.

Si Luka sous-tend une critique qui peut être étendue à de nombreuses religions ou doctrines à travers le monde, d'autres idées intéressantes sont véhiculées par ce film très esthétique et contemplatif au rythme lent. La construction de la relation entre Luka et ses comparses est progressive. L'ambiance pesante et lourde qui règne dans le fort Kairos confère une dimension surréaliste et intemporelle à ce film atypique.

L'amitié qui se noue entre certains « soldats » est un bel exemple de construction d'une force collective et surtout de la possibilité de contre-pouvoir face aux systèmes les plus rigides. Comme dans nos sociétés contemporaines, la hiérarchie du fort est très stricte et monter en grade n'est pas l'apanage de tous. La chute de son piédestal est d'autant plus brutale si l'on enfreint les règles. Avec quelques scènes spectaculaires, de la capoeira, un haka digne des plus beaux haka néo-zélandais ainsi qu'une esthétique unique, Luka est un film qui ne laissera personne indifférent.

Après King of The Belgian (2016), The Barefoot Emperor (2019), le duo Jessica Woodworth (réalisatrice) et Peter Brosens (producteur), fondateurs de la société de production Bo Films, n'a pas fini de surprendre le public avec des réalisations toujours marquantes et décalées.

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