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Mon nom est clitoris de Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet

Publié le 28/10/2019 par Bertrand Gevart / Catégorie: Critique

Faire l’amour et regarder sa main glisser vers la forme des choses, celle du sexe, celle des lèvres qui doucement se fendent, celle de ces va-et-vient qui se suivent à une lenteur régulière, mais surtout celle de l’impossible jouissance. Avant que les corps se débattent ou qu’ils crient, mieux vaut savoir où est le clitoris. Pour certains hommes et pour certains manuels, il n’existe tout simplement pas.
On perd les mots lorsque l’on parle de sexualité féminine, comme une impossibilité de dire, comme une honte intériorisée. Alors que les réflexions sur l’égalité entre les hommes et les femmes sont reprises par le débat public, il demeure une fausse certitude érigée en vérité : l’injonction à la sexualité pénétrative comme seul orgasme possible. Alors, quelle égalité possible dans le plaisir sexuel ?

Envisagé comme une succession de confessions face caméra de douze jeunes femmes, le documentaire Mon nom est clitoris réalisé par Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet fait valoir le droit des femmes à connaître leur corps et leur sexualité. Dès les premiers plans, le documentaire pédagogique met le doigt là où il devrait être, là où il fait du bien. Chacune tente d’esquisser le portrait robot du clitoris, de représenter chaque partie qui le compose, en vain. “Tout le monde peut représenter une bite, mais personne ne peut représenter un clito”.

À ce terrible effroi, celui d’ignorer son corps, s’ajoutent toutes les frustrations, les incompréhensions, les questionnements, mais aussi la violence des rapports. Dans un cadre confiné et fixe, allongées sur leur lit ou fumant une clope, elles nous racontent leurs expériences, leurs hésitations et discutent avec les deux réalisatrices de leur intimité. Elles se rappellent des premiers frémissements, des premières sensations, de la honte, du consentement trop souvent oublié par les partenaires masculins, du pommeau de douche ou de la brosse à dents électrique lors de leur première masturbation.
Les témoignages se succèdent, entrecoupés de séquences didactiques sur l’anatomie et le plaisir féminin, seul instant ou l’on sort de leur chambre.
Dans un rapport pudique entre filmeuses et filmées, Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet signent une oeuvre sans tabou, proche de chaque protagoniste qui se dévoile à mesure que les mots se libèrent face à une caméra passive. Toutes sont frappées par l’impossibilité de vivre facilement leur sexualité sans se justifier. Le tableau final invite les femmes à sortir de leur chambre pour occuper l’espace public et rendre au roi clitoris son trône sur les murs de la ville en taguant ses formes et son nom pour ne pas oublier. Cette invisibilité du clitoris, non nommé depuis trop longtemps, non représenté, est une excision culturelle préméditée.

Les réalisatrices, à travers le portrait de ces 12 femmes racontant leurs vécus, nous invitent à déconstruire la factice structure du manque et de l’attente, des orgasmes distincts, des femmes frigides ou anormales, l’écart prétendument biologique entre le plaisir des femmes et des hommes, le porno, etc. afin de déconditionner sa propre norme du plaisir et le rapport à son corps, dans une quête vers l’égalité.

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