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Pourquoi se marier le jour de la fin du monde?

Publié le 15/01/2000 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Fragile, pur et beau

Pourquoi se marier le jour de la fin du monde? marque, après plus de cinq ans, le retour à la réalisation, du réalisateur de Sirènes et d'Abracadabra. En choisissant de nous conter la destinée de trois personnages qui se rencontrent à l'heure des choix, Harry Cleven reste en terrain connu. Il aime cet instant douloureux des passages : où l'homme s'affronte à des éléments qui le dépassent, mais auxquels il doit trouver la force de résister pour imposer ses choix.

Pourquoi se marier le jour de la fin du monde?

Le film s'ouvre sur un visage de madone, illuminé de lumière blanche. C'est Juliette (Elina Löwensohn, plus que belle). En tentant de fuir Guido (inquiétant Pascal Greggory, à la puissance de jeu impressionnante), elle se fait renverser par une voiture. Dans l'ambulance qui l'emmène à l'hôpital, c'est Gaspard qui lui tient la main. Juliette veut respirer, vivre. Mais pour ce faire, elle doit échapper à Guido qui la surprotège de manière compulsive, qui l'étouffe, la terrorise. Gaspard l'ambulancier (Jean-Henri Compère), brave type, s'attache tout de suite à cette belle et pauvre fille. En voulant l'aider, il est pris dans un maelström d'événements qui le forceront très vite à dépasser le cadre de sa vie étriquée. Il devra aller au bout : accepter de tout perdre, trouver en lui une force et une énergie dont tout le monde le croyait dépourvu, forcer le destin, accepter de mourir, assumer ses choix sans en démordre. Alors seulement, il pourra grandir, être aimé, être libre.

 

Harry Cleven est un scénariste qui aime ses personnages, un comédien qui aime les acteurs. Cinéaste, il laisse cet amour s'exprimer sur pellicule, sans fards. Ici, sa caméra caresse les visages en longs plans rapprochés. Il fait choix d'un noir et blanc austère mais magique, et privilégie les lumières rasantes. De côté, elles sculptent les masques et attisent les regards. De face elles figent les physionomies, comme dans la cire, pour quelques moments d'apaisement. On songe qu'au même moment, Jarmusch (Dead Man) et Kaurismaki (Juha) ont pris les mêmes options et les ont imposées au monde. Nous sommes en bonne compagnie. Ses héros, il les aime aussi sans les juger, sans se poser de questions au point de sacrifier quelque peu leur histoire. C'est qu'il est moins intéressé par leur passé que par ce qu'il sont maintenant : leurs quêtes, leurs envies, leurs peurs. Chacun des protagonistes doit trouver en lui la force de faire ses propres choix, et a désespérément besoin des autres pour les réaliser et devenir enfin eux-mêmes. Des choix que le conteur s'impose de respecter tels quels, sans justificatif ni explication. Un respect et un amour que le film décline sous toutes ses formes, et qui lui donnent sa force et sa beauté.

 

Ses personnages, Harry les étreint et ne les lâche plus. Il les suit, quoiqu'il arrive au bout de leur voyage. Les scènes d'action, rapides, s'enchaînent. Tournées caméra à l'épaule, elles alternent avec de long moments de calme, souvent très beaux. Le cinéaste se sert avec brio d'un montage dynamique pour imprimer un rythme saccadé. Le spectateur est scotché à cette valse cahotante, et ce qu'il perd en confort, il le gagne en authenticité. Même si le réalisateur ne s'est pas converti aux préceptes de Lars Von Trier et ses joyeux copains, son film a ce petit parfum brut et direct des cinéastes étiquetés Dogme.

 

Ce n'est pas seulement la conséquence d'une grande économie de moyens. Harry Cleven est un homme nature, que son tempérament amène à se sentir davantage à l'aise dans la simplicité. C'est volontairement, par exemple, que la musique se fait discrète. Elle est d'autant plus appréciée quand elle est vraiment utile. Et la simple image de La Fagne au lever du jour, sans autre ornement que le bruit du vent dans les herbes, se passe de commentaire superflu.

 

Pourquoi se marier le jour de la fin du monde? est une oeuvre exigeante à la beauté fragile. C'est aussi un film à l'image de son auteur : passionné, d'une sensibilité vraie et d'une sincérité qui confine à la pureté.

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