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Rouge de Farid Bentoumi

Publié le 16/08/2021 par Adrien Corbeel / Catégorie: Critique

Produit par les frères Dardenne et labélisé «Cannes 2020», le deuxième long-métrage de Farid Bentoumi (Good Luck Algeria) mêle adroitement la critique sociale avec les codes du thriller écologique. Un film efficace et troublant.

Rouge de Farid Bentoumi

C'est une spécialité américaine qui s'immisce dans le cinéma franco-belge : le film de lanceur d'alerte. Au même titre que Erin Brockovich, seule contre tous, Révélations, ou le récent Dark Waters, Rouge fait le récit d'une personne qui, à ses propres dépens, tente de sonner l'alarme sur une situation sanitaire (ou écologique) désastreuse. Et comme ces films, Rouge est basé sur une histoire vraie.

Inspiré par le scandale des «boues rouges» qui a éclaboussé l'usine de Gardanne dans les Bouches-du-Rhône, le thriller nous place au cœur d'une entreprise de produits chimiques peu reluisante. Nour (Zita Hanrot), une jeune infirmière, vient d'y être engagée au grand bonheur de son père (Sami Bouajila), délégué syndical et pivot de l'entreprise. C'est un homme sûr de lui, une figure paternelle bienveillante et généreuse qui tire une grande fierté de sa famille, ainsi que de son usine, qui a maintes fois failli fermer ses portes. Mais son univers perd de sa superbe lorsque sa fille découvre une réalité qu'il ne veut pas entendre : l'état de santé des ouvriers est en souffrance, et les déchets produits par la société ont un effet écologique dévastateur. D'abord soudés comme jamais, voilà le délégué syndical et l'infirmière en opposition, l'un défendant une entreprise sur laquelle ses collègues dépendent pour vivre, l'autre arguant que l'usine est en train de les tuer. 

Ce conflit familial et relationnel est la grande force du film. Parce qu'elle cherche à faire la lumière sur une vérité difficile qui pourrait bouleverser leur vie de fond en comble, Nour commet aux yeux de ses proches une trahison : tous ont peur de perdre leur travail si un scandale venait à éclater. Non seulement la jeune femme se retrouve presque seule (elle a uniquement le soutien d'une journaliste, incarnée par Céline Sallette) à lutter contre les pollueurs, mais elle fait aussi face à sa communauté alors que celle-ci est victime des mensonges de l'entreprise. La situation est tragique et passionnante, exemplifiant de nombreuses considérations écologiques, morales et sociales qui sont d'actualité. Jusqu'où est-on prêt à aller pour défendre un système qui nous fait du mal ? Qu'est-ce qu'on est prêt à sacrifier pour ne pas perdre ce qui nous est cher ? 

Farid Bentoumi articule ses questions dans un récit assez semblable à celui d'autres films du même acabit, mais réussit à rester juste. Même lorsqu'il suit le cahier des charges de nombreux thrillers sociaux, Rouge ne semble jamais sacrifier son propos ou son authenticité. On peut sans doute créditer la mise en scène du cinéaste à cet égard, qui joue sur la sobriété plutôt que sur les effets de manche, mais aussi les interprètes du film, qui sont particulièrement convaincants dans leurs rôles respectifs.

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