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Une pensée sauvage de Karine de Villers

Publié le 07/06/2007 par Philippe Simon / Catégorie: Critique
Une pensée sauvage de Karine de Villers

De la pluralité des mondes habité
Une pensée sauvage, le dernier film documentaire de Karine de Villers est un attachant portrait de l’ethnologue et cinéaste belge Luc de Heusch. Entre dérive philosophique et leçon de cinéma, méditation sur l’altérité et recherche d’une parole universelle, il nous entraîne sur les traces d‘un homme de terrain doublé d’un théoricien non dépourvu d’humour qui, en un long retour sur lui-même, livre quelques clés pour pénétrer une pensée dont l'éclectisme déroute et étonne. Car Luc de Heusch est avant tout un passeur de mondes, un témoin de la diversité qui, inventant une poétique du réel, fait se rencontrer comme en des vases communicants des univers aussi particuliers que ceux de la science, de la fiction et de l’art.

Arpentant cette période clé qui marquera la fin de la modernité, il cherche et expérimente une façon de faire résonner, de mettre en écho des aventures aussi différentes que l’émergence du structuralisme, les créations du groupe Cobra et les enjeux de l’écriture documentaire. Pourtant, derrière ce défenseur d’une pluridisciplinarité des savoirs et comme en corollaire à cela, le film de Karine de Villers nous fait découvrir un Luc de Heusch plus secret, plus humain, ancré dans la vie de tous les jours et pour qui l’importance des rencontres et la fidélité en amitié sont autant de liens forts qui tissent la trame d’une vie et portent une recherche. Et c’est peut-être ce qui nous touche le plus dans ce portrait tout simple, c’est cette évidente relation entre une aventure humaine et les vérités qu’elle énonce, entre cette amitié pour Henri Storck, Jean Rouch, Pierre Alechinsky, Christian Dotremont et cette parole si singulière de Luc de Heusch où on croit les entendre.

Pour rendre compte d'une telle expérience, pour nous raconter un parcours qui voyage et le temps et l'espace, Karine de Villers a voulu son film clair et ouvert. Une longue conversation interview avec Luc de Heusch se nourrit d’extraits de ses films qui viennent comme illustrer, amplifier, compléter ces moments de mémoire. Et de ces images de films à ces mots qui se souviennent naît une étrange dialectique, un effet vibratoire où à la césure de deux mondes, celui de l’affect et celui de la pensée, surgit la figure touchante d’un Luc de Heusch qui nous est étrangement proche.

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