Né à Bruxelles en 1927. Il écrit divers essais littéraires sur l'art contemporain, des ouvrages d'ethnologie et un essai critique (Cinéma et sciences sociales: panorama du film ethnographique et sociologique, Paris, Unesco, 1962). Il enseigna l'anthropologie sociale et culturelle à l'ULB de 1955 à 1992.
Une certaine éthique du cinéma
Durant mon adolescence, dans Bruxelles occupée par les troupes allemandes, on pouvait écouter de la musique, voir des pièces de théâtre, mais guère de films en dehors des sinistres productions de la U.F.A.
Dès l'armistice, les séances de ciné-club organisées par l'Ecran du séminaire des Arts attirèrent un public considérable dans la grande salle du Palais des Beaux-Arts. On put notamment entendre Eric von Stroheim présenter Folies de Femmes et hurler "stop !" avant la fin de la dernière bobine, pour protester contre un montage imposé par son producteur et qu'il désavouait. Ces séances étaient présentées avec beaucoup d'humour par un homme merveilleux, Henri d'Ursel, l'auteur d'un unique film, d'inspiration surréaliste : la Perle (1929). C'est grâce à lui et à André Thirifays, alors directeur de la Cinémathèque, que je fis la connaissance d'Henri Storck. Ce fut lui l'étincelle. J'avais gagné à vingt ans le concours des "jeunesses théâtrales de Belgique" grâce à une pièce en un acte dont le titre ne mérite guère d'être rappelé, et qui fut montée par Raymond Gérôme pour une seule représentation. Cela m'avait tourné la tête et je me berçais de l'illusion que j'étais né pour le théâtre (ma mère avait été chanteuse d'opéra). La rencontre avec Henri Storck me mit sur le bon chemin. Je cherchais du travail pour payer la fin de mes études à l'université et il m'engagea comme assistant. Je découvris le cinéma de 1947 à 1949 en l'écoutant parler, en le regardant faire. Il n'y avait pas d'école de cinéma évidemment à cette époque, mais j'avais droit à des leçons particulières. Il inventait de nouvelles techniques pour les prises de vues au banc-titre de Rubens et j'appris ainsi comment fabriquer un film sur l'art. J'appris les rudiments de la mise en scène en le voyant diriger des acteurs pour un court métrage intitulé Au carrefour de la vie. Mais surtout, il m'enseigna une certaine éthique du cinéma en tant que témoin du réel : tout film exige une minutieuse enquête préalable, de longs mois de préparation. Au carrefour de la vie fut l'occasion de ma première expérience sociologique. Henri Storck m'associa au scénario et, ensemble, nous ouvrîmes le dossier de l'enfance délinquante. Nous interrogeâmes psychologues, psychanalystes, éducateurs, juristes. Nous plongions le coeur serré dans le drame des enfants mal aimés. Ma vocation d'anthropologue allait se nourrir des leçons du maître Storck, cet homme chaleureux qui avait porté son regard sur les ouvriers et les paysans et réalisé, avec Symphonie paysanne, l'un des chefs-d'oeuvre du film anthropologique. C'est grâce à lui que j'ai trouvé une issue cinématographique à deux passions : l'art et l'ethnologie. Je suis donc devenu cinéaste par accident. L'accident d'une formidable rencontre.