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Claudio Pazienza

Claudio Pazienza

Métier : Réalisateur

Ville : 1070 Bruxelles

Pays : Belgique

Email : Cliquez ici

Biographie

Claudio Pazienza est né à Roccascalegna (Italie) en 1962. Il arrive dans le Limbourg belge un an plus tard. Son père est mineur et sa mère, femme au foyer. Claudio est le second des cinq enfants de Carlo et Gina.  C’est dans cette même région minière qu’il  fréquente les écoles créées par les missionnaires italiens. Les cours sont dispensés en italien (le matin) et en flamand (l’après-midi).  Il s’inscrit ensuite à l’ Ecole Européenne de Mol où il passe son bac en 1979 dans la section Latin-Math.  A 13 ans, il reçoit un précieux  Nikon FM.  Bien que fasciné par le cinéma militant et les mouvements contestataires en Italie à la fin des années 70,  il opte pour la très francophone et laïque Université Libre de Bruxelles. Il s’y intéresse à la sociologie et à l’anthropologie tout en fréquentant la faculté d’histoire de l’art. Au début des années 80 il fréquente assidûment la Cinémathèque Royale et fait du théâtre amateur.  En 1985 il obtient un diplôme en Ethnologie européenne. Son mémoire de  fin d’études analyse avec les outils de la sémiologie un corpus de contes du moyen-âge et  parle des «Structures narratives en  œuvre  dans les contes facétieux de G.F. Straparola ».

A la même période il s’essaie au cinéma en achetant une Beaulieu Sup. 8 puis en tournant – à ses frais – les premières séquences d’un futur long-métrage (Sottovoce 1986/92).  Depuis 1987 il  a réalisé des courts-métrages de fiction, a conçu pour ARTE deux soirées thématiques (« La Belgique, le pays où Icare s’est noyé – 1997 » et « Tout sur la bière – 2000 ») et a réalisé divers documentaire de création.  En 1997 il crée et dirige un festival de cinéma d’animation (Matita Film Festival – Guardiagrele / Italie).  Il continue de faire de la photo et crée sa propre maison de production (Kòmplot films etc. sprl). Il a enseigné l’Histoire du Cinéma  (La CAMBRE – Bruxelles) et dirige régulièrement des ateliers de réalisation (ESBA – Genève, LUSSAS, FEMIS –Paris). Il a été membre de plusieurs jurys (Centre du Cinéma – Bruxelles ; Brouillon d’un Rêve – SCAM, Paris). Il a la nationalité italienne, il est polyglotte et réside à Bruxelles depuis 1980. Il est le père d’Oscar et Raoul. Il milite pour un cinéma de gai savoir.

Galerie photos

Filmographie

Exercices de disparition

Exercices de disparition

Réalisateur(-trice)
documentaire
2011
 
Archipels Nitrate

Archipels Nitrate

Réalisateur(-trice)
documentaire
2008
 
Scènes de chasse au sanglier

Scènes de chasse au sanglier

Réalisateur(-trice)
documentaire
2007
 
Les Iles d'Aran

Les Iles d'Aran

Réalisateur(-trice)
documentaire
2004
 
L'argent, raconté aux enfants et à leurs parents

L'argent, raconté aux enfants et à leurs parents

Réalisateur(-trice)
documentaire
2002
 
Oedipus Rex

Oedipus Rex

Réalisateur(-trice)
documentaire
2000
 
Esprit de bière

Esprit de bière

Réalisateur(-trice)
documentaire
2000
 
Ya Rayah

Ya Rayah

Réalisateur(-trice)
fiction
2000
 
Tableau avec chutes

Tableau avec chutes

Réalisateur(-trice)
documentaire
1997
 
Panamarenko

Panamarenko

Réalisateur(-trice)
documentaire
1997
 
La Complainte du progrès

La Complainte du progrès

Réalisateur(-trice)
fiction
1997
 
De Bouche à oreille

De Bouche à oreille

Réalisateur(-trice)
fiction
1995
 
A voix basse

A voix basse

Réalisateur(-trice)
fiction
1993
 
Sottovoce

Sottovoce

Réalisateur(-trice)
docu-fiction
1993
 
Peu de fievre

Peu de fievre

Réalisateur(-trice)
fiction
1991
 
Aujourd'hui c'est le printemps

Aujourd'hui c'est le printemps

Réalisateur(-trice)
fiction
1988
 
L'artériosclerose du grand-père

L'artériosclerose du grand-père

Réalisateur(-trice)
fiction
1985
 
Fragments d'une oeuvre Claudio Pazienza

Fragments d'une oeuvre Claudio Pazienza

Réalisateur(-trice)
documentaire
 

2002 L'argent

2002 Mic Mac

 

Organismes liés à cette personne

Le déclic...

Claudio Pazienza

Le mouton avait tous ses papiers en règle
Mon grand-père avait un âne qui s'appelait Rosina. Il avait également quelques moutons. Contrairement à Rosina, ces quadrupèdes poilus, peu gracieux et à la couleur ivoire, n'avaient pas droit à un nom. Pourtant, en grand fanatique de westerns qu'il était, mon grand-père aurait pu les appeler Jack, Sam, Ted... En plus, je pensais que la générosité séculaire de cet animal (lait, fromage, laine, gigots et basses-côtes) le rendrait ipso facto "nomable". Et bien, pas du tout. Pourquoi ? La place que le mouton occupe dans notre civilisation est notoire. Abraham préféra en égorger un plutôt que son fils Isaac. Noé réserva au mouton une place d'honneur sur son Arche. Caravaggio lui dessina des yeux d'homme. C'est grâce à un mouton qu'Ulysse fuit la caverne où le cyclope Polyphème l'avait emprisonné. Tant dans la culture judéo-chrétienne que musulmane, dès qu'on prononce le mot "sacrifice", apparaît l'image d'un agneau ou d'un mouton. Bref : malgré les nombreux premiers rôles en trois mille ans d'histoire, il n'est toujours pas coutume de lui donner un nom. Pourquoi une telle animosité ? Voici mon explication. Elle est fort simple. LE MOUTON EST UN ANIMAL COMESTIBLE ! En fait, contrairement aux animaux tels les éléphants Dumbo, Babar et Céleste, les chevaux du tiercé, le chien Rantanplan, le chat Félix, le canari Titi (tous, pour ainsi dire, incomestibles), le mouton ne semble servir qu'à décorer les boucheries. Aux côtés d'ailleurs des boeufs et des cochons. Tous sans nom. Bref, si vous n'avez pas de nom ou qu'on vous l'ôte, on vous bouffe. Est-ce le cas dans toutes les civilisations ?
En l'an 1895, le 22 mars, un homme nommé Louis Lumière projeta devant une salle de Parisiens hébétés un bout de film d'une durée d'environ une minute. La suite de l'aventure est connue. Mais sait-on que sans la participation (certes involontaire) de l'animal anonyme dont j'ai parlé plus haut, cette projection n'aurait jamais eu lieu ? Comment, en effet, serait-on arrivé à créer une couche de gélatine - souple et résistante, donc le FILM - sans le sinistre dévouement d'un mouton ? Quel autre animal serait venu si volontiers au secours des inventeurs avec ses peaux et ses os pour que le film nitrate existe ? Je l'ignore. Il est également très étrange que ce nouveau moyen de communication exigea le sacrifice de tant d'animaux. Est-ce un hasard ? On n'égorgea pas des chevaux ni des poulets, mais bien un animal qui symboliquement occupe une place considérable dans notre culture. C'est un peu comme si tout à coup, face à l'ampleur quasi céleste de l'invention, il fallut apaiser la rage des Dieux qu'on avait osé défier. Ce ne fut d'ailleurs pas la première fois qu'un tel carnage eut lieu. A côté de l'origine animale du cinéma, il faudrait considérer celle d'une certaine littérature du Moyen Age. Sait-on, par exemple, qu'en ces temps-là, pour faire un livre de 200 pages, il fallait la dévotion d'une soixantaine d'ovins ?
L'odeur du cinéma Rio que je fréquentais à quinze ans était forte et unique. Un courant d'air vous rappelait en pleine séance que la salle était munie de toilettes pour hommes. L'odeur devenait inévitablement aiguë au début du troisième film (film classé X). Le programmateur a toujours soigneusement évité de faire une quelconque incursion dans une Encyclopédie du cinéma. L'histoire du cinéma reste à l'écart des banlieues. Tous les films que j'ai vus au cinéma Rio étaient - comment dire ? - sans nom, sans titre. Des films anonymes. Un cinéma-ovin. En venant à Bruxelles, tout a changé. C'était chic et cosy. La cinémathèque royale, haut lieu de recueillement, ne dégageait pas d'odeurs. Ici, contrairement au cinéma Rio, il y avait le culte du nom. Etait-ce le culte du regard, du point de vue, du récit, de l'Histoire ? La Cinémathèque devint très rapidement mon école. J'y assistais à de longues discussions entre cinéphiles orthodoxes. Un soir, il fut question - à mon grand étonnement - de cet animal que tous les cinéastes devraient considérer comme leur animal totémique. Le problème - historiquement inattaquable, déontologiquement incontournable mais esthétiquement fragile - était de savoir si l'on pouvait installer un mouton (empaillé, s'entend) à côté de ce sombre personnage qu'est Joseph Plateau. Garée à l'entrée de la salle, l'effigie suave mais sinistre de Monsieur Plateau aurait pu être "complétée" par un ovin irlandais, de préférence au musée noir. Après tout, il y a beaucoup d'illustres personnages dans l'imagerie populaire qui sont indissociables d'un animal : Saint Roch est toujours accompagné d'un chiot poilu, Tarzan est toujours suivi d'un chimpanzé, Chris Marker pose toujours à côté d'un chat... Le débat se termina en queue de poisson. On remarqua, en effet, que parmi les nombreuses qualités à avoir pour mériter une vitrine à la Cinémathèque, il y en a deux qui sont prioritaires : a) avoir un nom et un prénom, (c'est donc foutu pour le mouton); b) avoir contribué d'une manière décisive à l'invention du cinématographe (pour ce point-ci, le mouton a tous ses papiers en règle). Bien. Mais pourquoi alors, pensais-je, faire la statue en cire d'un physicien qui, certes a inventé le phénakistiscope, mais à qui aucune encyclopédie ne dédie plus de trois lignes ? Pourquoi tant de lauriers ? Il est sans conteste louable de rendre hommage à tous les "participants" de cette fabuleuse aventure mais pourquoi tant de générosité pour un personnage somme toutes mineur ? Pourquoi lui offrir d'une façon si prétentieuse la vitrine la plus en vue de la Cinémathèque ? Etait-ce parce que Joseph Plateau était belge ? Etait-ce parce que les moutons n'ont pas d'arbre généalogique ? Chassé de la cinémathèque, le mouton a pris sa revanche en jouant dans beaucoup de films : il a couché avec Woody Allen dans Tous ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe... . Il a ensuite posé pour Paradjanov et pour Pelechian, puis il s'est promené dans le Troupeau de Yilmaz Güney. Dans Padre Padrone des frères Taviani, il tint un second rôle très remarqué à Cannes en 1977...
Voilà. Où voulez-vous en venir, M. Pazienza ?
Eh bien, je continue de m'étonner du fait que les livres d'histoire ménagent l'incandescence des faits pour que leurs dégâts soient moindres parmi les survivants. Je ne parle pas, ici, de l'histoire du cinéma ni du rôle que le mouton y a joué, mais d'histoire tout court. Je parle de la nécessité de réécrire continuellement ces livres, pas pour réhabiliter les bourreaux, mais pour les dépoussiérer. Or, faire des films, c'est aussi (qu'on le veuille ou non, qu'on soit documentariste ou réalisateur de fictions) donner une leçon d'histoire. C'est dire : "j'aimerais partager ce que j'ai vu". C'est même devenir (mais pas nécessairement) insolents et méchants pour qu'une vision du monde ait sa place à côté d'autres visions. C'est avoir un regard sûr. C'est être là. S'il y a peu de souvenirs personnels dans les excursions qui précèdent, c'est parce que les étincelles qui m'ont amené à faire ce que je fais ne se sont pas produites que dans les salles obscures. Elles ont eu lieu (et continuent d'avoir lieu) en plein air. Cela reste malgré tout impalpable, parfois confus. Même baroque. Je suis là. Après tout, ce qui me meut, c'est le désir de donner un Nom aux choses et de me réconcilier avec elles. Vouloir raconter, c'est d'abord vouloir régler des histoires. C'est une envie d'Histoire.

Claudio Pazienza