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50/50 - Tableau avec chutes de Claudio Pazienza

Publié le 05/04/2021 par Anne Feuillère et Sarah Pialeprat / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Claudio Pazienza est né à Roccascalegna (Italie) en 1962. Il arrive dans le Limbourg belge un an plus tard et étudie d’abord dans les écoles italo-flamandes de Eisden puis à l’Ecole Européenne de Mol. En 1985 il obtient un diplôme en Ethnologie européenne à l’Université Libre de Bruxelles. Il s’initie à la photo et au cinéma en fréquentant assidument la Cinémathèque Royale de Belgique. Il réalise et produit ses films depuis 1986 et a créé sa propre société en 1998 (Komplot sprl). Il intervient de manière irrégulière à l’HEAD – Genève, FEMIS – Paris, LA CAMBRE – Bruxelles, L’école du doc – LUSSAS, IAD – Louvain-La-Neuve, Louis Lumière - Paris et dans d’autres écoles de cinéma. Il a la nationalité italienne, il est polyglotte et réside à Bruxelles depuis 1980. Il milite pour un cinéma de gai savoir.

50/50 - Tableau avec chutes de Claudio Pazienza

Anne Feuillère et Sarah Pialeprat : Quelle est l’importance de Tableau avec chutes dans votre chemin de cinéaste ?

Claudio Pazienza : A l’époque, j’avais 33 ans et je me posais des questions existentielles, au-delà même de celles que pose le cinéma. Tableau avec chutes a, en quelque sorte, dépassé mes intentions de départ et m’a permis d’oser entreprendre des projets sans avoir la nécessité de tout savoir à l’avance. Il n’est pas toujours indispensable de savoir précisément ce qu’on veut, ce qu’on cherche. Parfois, plus on sait, plus on cloisonne et moins on se laisse surprendre. Le plaisir de se contredire s’éclipse ! Le film m’a appris cela, car il remettait en question tout ce que j’avais fait avant, un cinéma trop démonstratif. À partir de Tableau avec chutes, j’ai commencé à penser la pratique du cinéma autrement, en laissant un peu de côté la préparation à outrance et en m’accordant une plus grande liberté. Je me suis tourné vers un cinéma qui continue à se penser, à s’écrire tout au long du processus de fabrication. Un cinéma où les questions continuent de surgir et où ces questions ne trouvent pas nécessairement des réponses définitives. D’où, parfois, des films qui semblent inachevés, voire inachevables. Et cela me convient. Du coup, faire un film, c’est comme enclencher un rituel plus excitant et intéressant. Pour moi, le cinéma est une machine à penser, un mouvement qui s’enclenche et qui pourrait durer. Tableau avec chutes a donc ramené de l’aléa dans mes dispositifs, de la vibration, du danger, dans le sens positif du terme.

 

A.F. et S.P. : Selon vous, à quoi est dû son succès ?

C.P. : Tableau avec chutes n’est pas un film difficile, mais exigeant par sa durée et par son sujet, qui demande au spectateur d’accepter de faire une sorte de voyage. La question de l’écriture, passant du journal intime à l’actualité, et le mélange du « je » et du « nous » ont suscité un certain intérêt. Le succès rencontré à l’étranger était dû, je crois, au mélange de tons, parfois léger, parfois grotesque, parfois profond, et qui assumait sa part de créativité. Ce style, qui s’éloigne du naturalisme, correspondait probablement à l’image que l’on peut avoir de la Belgique vue de l’étranger. Une image un peu nonchalante, ce côté irrévérencieux qu’on lui prête et qui sont souvent faux d’ailleurs… Les gens disent « surréalisme », mais je n’aime pas tellement ce terme. Ensuite, ce film, qui a été pensé dès 1995, a croisé un moment de la Belgique avec l’affaire Dutroux et cela lui a donné une sorte de caisse de résonance inattendue. Pendant le tournage, ces événements ont trouvé une place dans le film et cela rencontrait par hasard un présent qui faisait actualité. 

 

A.F. et S.P. : Ce succès a t-il rendu votre vie de cinéaste plus simple ?

C.P. : La situation est assez paradoxale. On m’a par la suite proposé de poursuivre dans cette veine, dans ce genre qui va de l’intime au social, et j’ai un peu résisté à ça, car j’y voyais une dérive qui ne me plaisait pas beaucoup. Ce côté irrévérencieux, qui peut aussi susciter le rire et le sarcasme, ne m’amène pas - moi - à des rencontres intéressantes. J’ai donc refusé des « commandes », un documentaire sur Berlusconi, par exemple. J’avais l’impression qu’on me poussait à faire ce qu’il y avait de moins intéressant sur Canal +, à l’époque. D’un autre côté, le film m’a ouvert des portes et permis des rencontres avec quelques producteurs dans plusieurs télés. Grâce à eux, j’ai pu continuer à faire des films qui passent à … minuit - une plage horaire qui me convient parfaitement - et essayer des choses. Il faut dire qu’à partir de Tableau avec chutes, j’ai travaillé presque de manière ininterrompue pendant plusieurs années de suite et j’ai vécu de ça.

 

A.F. et S.P. : L’avez-vous revu récemment ?

C.P. : Non. Il continue à être montré, mais je n’aime pas tellement accompagner mes films. Prendre la parole avant ou après, c’est pour moi déjà la leur ôter. D’une manière générale, j’ai beaucoup de mal à revoir mes films. Je leur confie mes états d’âme et je leur demande de s’en occuper, alors, je n’ai pas trop envie de rouvrir le tiroir une fois que je l’ai fermé. 

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