Métier : Réalisateur, Scénariste
Ville : Heverlee
Province : Brabant flamand
Pays : Belgique
Email : Cliquez ici
Silence, on tourne
Mes racines filmiques sont rangées dans une armoire de bois verni d'un mètre cube. J'appartiens à la première véritable "génération télé". Un incroyable mélange d'images déferlait devant moi lors des samedis pluvieux. New York en noir et blanc. James Stewart qui saute dans un taxi, brave les tempêtes avec son avion de poste et sauve la vie à de vieux épiciers. Laurel et Hardy, Buster Keaton, Tante Terry et Oncle Bob, planqués en toute sécurité derrière le petit écran. Une antenne déglinguée et deux postes émetteurs. Bruxelles Flamand et Bruxelles Français. Par temps d'orage, mon frère grimpait sur le toit pour diriger l'antenne. Le mercredi après-midi, des heures d'attente devant la mire. Des choeurs d'enfants hongrois nous harcelaient avec des chants déprimants tandis que nous attendions un laid dessin animé d'Allemagne de l'Est. Le capitaine Zeppos, Lassie et Flipper étaient mes héros.
Maintenant, vingt-cinq ans plus tard, ils le sont toujours. Je flotte à présent moi-même dans cet amalgame de façon un peu moins abstraite qu'avant; mais la magie est restée et elle s'est même renforcée. Que je fasse des films est un pur hasard. Je ne comprends pas comment c'est arrivé et je ne veux pas le comprendre. Je me dis souvent que socialement parlant le cinéma a à peine quelque utilité et que je pourrais très bien vivre sans. Tout comme le fumeur invétéré qui dit qu'il peut arrêter de fumer à tout moment, ou l'alcoolique qui, les mains tremblantes, prétend qu'il peut très bien se passer de boire. Je me surprends souvent à vouloir crier "silence, on tourne !" quand je suis dans un café bruyant ou encore "action !" à la caisse d'un supermarché bondé. Je les comprends bien, les fous et les idiots qui règlent la circulation aux carrefours des grandes villes. Nous, les cinéastes, faisons exactement la même chose. On les enferme dans des établissements et nous dans un mètre cube de bois verni ou sur cent mètres carrés de drap blanc. Cent ans de cinéma. Cent ans, cent mille idiots en train de se battre contre la mer, de crier contre le vent. Notre sang coule à vingt-quatre images par seconde, irréversible, pour l'éternité.