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The Hole in the Ground de Lee Cronin

Publié le 30/11/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Sortie DVD

Le gouffre aux chimères

La campagne irlandaise. Sarah O’Neill (Seana Kerslake) et son petit garcon de six ans, Chris (James Quinn Markey), ont fui la ville après un événement traumatisant (des problèmes de violence conjugale sont suggérés) pour venir s’installer dans une maison décrépite à l’orée d’un grand bois. Quelques jours après s’être installés, après une dispute entre la mère et le gamin, qui ne comprend pas pourquoi son père ne vit plus avec eux, Chris fuit dans la forêt. En le poursuivant, Sarah découvre une gigantesque doline, de la taille d’un cratère, si profonde qu’on n’en voit pas le fond. Sarah craint que Chris soit tombé dans le trou, mais il est sain et sauf.

The Hole in the Ground de Lee Cronin

 

La jeune mère reste néanmoins troublée par le caractère extraordinaire de ce phénomène inexpliqué. Dans les jours et semaines qui suivent, alors que Sarah tente tant bien que mal de s’acclimater à sa nouvelle vie, loin de tout et sans amis, elle remarque différents changements dans le comportement de son fils. Ce dernier ne semble pas se souvenir de leurs jeux favoris et il mange docilement des aliments dont il avait horreur quelques semaines plus tôt. Enfin, pour un enfant qui avait autrefois très peur des araignées, Sarah le surprend en train d’en avaler une grosse ! De plus en plus silencieux, ses grands yeux noirs constamment empreints d’une tristesse insondable, incapable de communiquer ses émotions à Sarah, Chris a changé au point où sa mère finit par se persuader que ce petit garçon qui est là devant elle n’est pas son fils, mais… autre chose !

L’« elevated horror » - appellation à la mode destinée à souligner le caractère sérieux et auteuriste de certains films d’horreur modernes, créée par des producteurs malins afin de distinguer leurs produits de la masse des machins produits à la chaîne par Jason Blum et consorts, dans l’espoir de les lancer dans la course aux Oscars - a beau s’avérer quelque peu pompeuse et méprisante envers le travail de ses confrères, elle a néanmoins donné quelques réussites indéniables de la peur au grand écran ces dernières années, voire une poignée de classiques – Under the Skin, Mister Babadook, Get Out, Hereditary, Midsommar, The Witch, The Lighthouse, The Lodge, Saint Maud, The Nightingale, Vivarium, Relic - révélant au passage des cinéastes talentueux d’horizons divers tels que les Australiennes Jennifer Kent et Natalie Erika James, les Américains Ari Aster, Robert Eggers et Jordan Peele, l’Anglaise Rose Glass, les Irlandais Lorcan Finnegan et Neasa Hardiman ou encore le duo autrichien Severin Fiala / Veronika Franz. Leur point commun : privilégier une horreur psychologique souvent ambiguë, plus complexe, plus adulte, dénuée du cynisme, du postmodernisme et des formules paresseuses qui plombent le genre depuis que les geeks et les experts comptables ont pris possession d’Hollywood. À cette liste non exhaustive viennent aujourd’hui s’ajouter Lee Cronin et son flippant « trou dans le sol ».

 

The Hole in the Ground de Lee Cronin

 

Portrait déchirant d’une jeune femme vulnérable, aux fêlures tant psychologiques que physiques (la fragile Seana Kerslake est une vraie révélation !), The Hole in the Ground nous plonge dans une histoire où l’ambiguïté règne en maître, du moins jusqu’au dénouement. Sarah imagine-t-elle ce qui lui arrive ? C’est une possibilité distincte, même si le film suit les événements exclusivement de son point de vue. Arrivant au-delà de son point de rupture, Sarah sait néanmoins que rien ne sert de crier sur les toits que son fils n’est pas son fils, au risque d’être prise pour une folle, comme la vieille Noreen, une voisine sénile et hostile qui fut autrefois accusée d’avoir assassiné son propre enfant. La « chose » qui a pris possession du corps de Chris trompe de toute façon les autres adultes, devant lesquels il sait jouer le rôle d’un petit garçon tout ce qu’il y a de plus normal. C’est uniquement lorsqu’il se retrouve seul avec Sarah que sa violence surnaturelle se déchaîne.

 

The Hole in the Ground de Lee Cronin

 

Jouant habilement d’une peur universelle, l’innocence pervertie, métamorphosée en Mal absolu, The Hole in the Ground ne révolutionne certes pas le genre par son récit, d’autres films plus ou moins récents, mais beaucoup plus démonstratifs dans l’horreur pure (Instinct de Survie, avec Kevin Costner, Le Sanctuaire, de Corin Hardy, Beyond the Woods, sur un canevas quasi similaire), ayant marché sur les mêmes plates-bandes. Mais le film de Lee Cronin se distingue de ces derniers par sa retenue lors des (rares) scènes ouvertement horrifiques, privilégiant une atmosphère de malaise oppressante, une montée graduelle du suspense et quelques visions horrifiques troublantes (à commencer par ce cadavre retrouvé avec la tête enterrée dans le sol). Le réalisateur fait la part belle au folklore et aux somptueux paysages irlandais (la forêt hantée par une végétation noueuse, lieu de croyances séculaires), trop souvent malmenés par les clichés au cinéma. Pas de leprechaun rigolard ici, mais un gouffre béant, surnaturel ou extraterrestre, qui anéantit à jamais le sentiment de sécurité de quiconque s’en approche ou vit à proximité. Mène-t-il vers une autre dimension ? Vers des horreurs lovecraftiennes inconnues ? Pourquoi personne d’autre dans la région ne semble-t-il l’avoir vu ? Le cinéaste (dont il s’agit du premier long-métrage et qui signera un nouveau chapitre d’Evil Dead en 2022) choisit de laisser ces questions sans réponses, la présence maléfique qui habite son film gagnant à rester énigmatique. La conclusion n’est est que plus mémorable ; The Hole in the Ground est une de ces œuvres qui restent en tête bien longtemps après le générique de fin. 

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